Accueil

HISTOIRE de la CHINE

    Au-delà de la continuité formelle d'enchaînements dynastiques reconstitués a posteriori, l'histoire de la Chine est une succession de discontinuités aussi marquées que celles de l'histoire de l'Occident depuis l'âge du bronze. Elle ne peut donc être que fictivement considérée comme celle d'une administration et d'une tradition politique homogènes. Ce n'est pas un État national au sens propre, mais un ensemble géopolitique, mis en forme par un concept impérial, à la manière de ce que fut la Romania antique pour le Bassin méditerranéen.
 
    Le décalage de perception historique entre l'Occident et la Chine tient donc à ce que, dans un Occident largement homogène du point de vue culturel, la conscience politique est segmentaire et en général attachée à la nationalité, alors qu'en Chine la situation est inverse: la conscience politique est attachée au partage de valeurs culturelles, indépendantes de la «nationalité». L'histoire de la Chine est encore relativement mal connue et mal conceptualisée, non que les sources manquent, mais elles restent à étudier, et la tâche est immense et complexe alors même que la recherche demeure tributaire de la vision culturelle sinocentrique et simplificatrice des sources narratives chinoises (les annales) qui ramènent la variété de l'histoire à la répétition d'un cadre dynastique stéréotypé.
 
    Les origines La plus ancienne trace de présence humaine en Chine remonte à environ un demi-million d'années, avec le sinanthrope, ou Homme de Pékin, qui vivait de la chasse et de la cueillette, et qui cuisait ses aliments.
 
    Alors qu'en Chine du Nord l'industrie sur galet, aux outils grossiers et d'évolution lente, qui caractérise la préhistoire chinoise, a commencé vers 25000 av. J-Cà évoluer vers le microlithisme, la Chine du Sud se distingue par la perpétuation des traits les plus archaïques, jusqu'à sa phase finale (Hoabinhien) de 10000 à 5000 av. J-C.
 
    En Extrême-Orient, le processus de sortie de la préhistoire devient effectif aux environs de 10000 av. J-C Le néolithique chinois proprement dit, qui connaît, outre la céramique, le petit élevage (chien, poulet, porc) et une préagriculture du millet, se situe au VIIe millénaire et concerne les populations mongoloïdes de la zone de passage entre Asie centrale et Extrême-Orient pacifique. Dans le même temps, des populations côtières s'avancent vers le sud, formées d'un premier groupe d'Austronésiens (Mélanésiens).
 
    Chronologie (vers - 6500) Le néolithique, longtemps confiné à un petit terroir de la moyenne vallée du Huanghe, gagne ensuite, en se diversifiant, les plaines côtières qui forment les bassins inférieurs des fleuves de la Chine du Nord-Est. Ainsi, au Ve millénaire, distingue-t-on plusieurs systèmes culturels. Celui de Yangshao, dans la vallée du Huanghe, est le plus connu; il pratique la culture sur brûlis, en villages occupés périodiquement, où pêche et chasse restent des activités importantes; sa céramique présente des similitudes avec celles de l'Iran et de l'Ukraine, mais les jalons manquent pour établir la parenté. La région des bouches du Yangzijiang relève au contraire du monde des riziculteurs et annonce les futures cultures néolithiques de la Chine du Sud et de l'Asie du Sud-Est. En situation intermédiaire, on distingue des éléments culturels où se marque de façon croissante la différenciation sociale, et qui annoncent la culture de Longshan.
 
    Avec le IVe millénaire, les échanges deviennent de plus en plus nombreux entre les communautés agricoles semi-sédentaires de la Chine du Nord, dotées d'un bon artisanat et où la division du travail, bien marquée, traduit déjà un niveau d'organisation sociale complexe. L'expansion du néolithique vers le sud conflue avec la descente d'un deuxième groupe d'Austronésiens (Indonésiens).
 
 
    La protohistoire Avec le IIIe millénaire, alors que la troisième vague des populations côtières (Austro-Asiatiques) pénètre en Chine du Sud (avant de poursuivre sa progression vers la péninsule Indochinoise), la Chine du Nord, aux groupes ethniques variés et densément occupée par des communautés sédentaires, entre alors dans une phase d'évolution accélérée.
 
 
    Du début du IIIe millénaire à 1500 av. J-C On peut désormais présenter l'histoire chinoise en quatre séquences, nettement caractérisées, d'un peu plus d'un millénaire chacune, qui reproduisent en termes historiques (c?est-à-dire avec des personnages, des dynasties, des lieux géographiques, des chronologies, etc.) le grand mouvement que l'on vient d'observer depuis le début de la néolithisation: un modèle culturel s'élabore au Nord (généralement dans une portion d'espace restreint correspondant à celui compris entre les villes actuelles de Xi an et de Kaifeng); puis il se répand sur ce qui, au terme de cette histoire, est devenu l'espace chinois proprement dit (celui que l'on appelle la Chine des dix-huit provinces, de peuplement han); enfin, il organise un empire déployé le long des voies de communications internationales, de façon à contrôler les verrous de l'espace chinois (Mongolie, Tibet, Asie centrale, nord de la péninsule Indochinoise, etc.), peuplés de populations non hans.
 
    Au terme de ces crises de gigantisme, l'ensemble se déconstruit selon une logique inverse: l'Empire se rétracte sur la Chine propre, laquelle se refragmente en unités régionales de base (provinces ou groupements de provinces), jusqu'au moment où de l'une de ces unités émerge un nouveau pouvoir central qui entreprend de reconstituer l'espace chinois, puis un nouvel ensemble impérial (et ainsi de suite). Cette respiration de l'histoire chinoise s'accompagne d'une élaboration toujours plus précise du modèle culturel «chinois», qui est diffusé à chaque fois plus profondément parmi les populations non chinoises périphériques.
    Les empereurs civilisateurs et la dynastie des Xia
    Les premières écritures
 
    La transition vers l'histoire s'effectue quand, au sein de ces cultures néolithiques de la Chine du Nord entrées dans un processus d'unification, se développent de nouvelles techniques: les unes, vraisemblablement importées (parmi lesquelles la métallurgie du cuivre peut-être apportée par les populations de la steppe d'Asie centrale, et la domestication du buffle, venue du Sud), indiquent que des synchronies régionales sont en train de s'élaborer; les autres, de développement local (embryon d'un système de pictogrammes, ancêtre de l'écriture), traduisent le franchissement d'un stade décisif autant dans l'ordre intellectuel que dans celui de l'organisation sociale.
 
    Leur conjonction permet l'émergence d'une véritable organisation politique de type tribal, avec ses chefferies.
 
    Cette phase est bien repérée comme telle par la mythologie historique traditionnelle qui, sur une période que la tradition date de 2852 à 2205, la personnifie à travers neuf empereurs civilisateurs qui auraient enseigné aux hommes la domestication des animaux, la divination, la pêche, l'agriculture, la médecine, le tissage sur métier, la sériciculture et la métallurgie.
 
    Vers la fin du millénaire, une maîtrise croissante des techniques hydrauliques fournissant (tout autant que les imposant) les moyens d'une cohésion politique plus organique et plus durable, ces chefferies tribales doivent former des confédérations préétatiques. Le principe en est rapporté à un ministre des derniers empereurs civilisateurs, le sauveur des inondations, Yu le Grand (2207-2197), fondateur de la légendaire dynastie des Xia (2207-1766), réputée avoir compté dix-sept souverains et dont la capitale aurait été Anyi.
    La culture de Longshan et les aristocraties du bronze Sans qu'on puisse toujours établir une relation entre les faits mythologiques et les résultats de fouilles archéologiques, on constate alors l'émergence d'une phase culturelle qui amorce une civilisation proto-urbaine (progrès de l'artisanat, travail des métaux, de la céramique faite au tour de potier, rituels élaborés, etc.).
 
    Cependant, ce n'est pas seulement par le saut technique que se distingue cette phase culturelle, mais aussi par un saut qualitatif dans l'organisation de la société: l'émergence de contraintes collectives sur les terres eut des incidences sur les hommes et s'accompagna inévitablement de tensions sociales et de l'imposition de hiérarchies autoritaires. On voit ainsi se diffuser à partir du domaine d'élection des cultures hiérarchiques de l'Est chinois un mode de vie qui tranche radicalement sur celui des précédentes périodes par le développement de la violence politique (fortification des sites d'habitation).
 
    Ces deux composantes combinées deviendront classiques et dominantes après 2500, sous le nom de culture de Longshan, et se répandront sur une part notable du futur monde chinois: essentiellement sur le Nord et les côtes.
 
    Les moyens de cette violence sont renforcés à la fin du IIIe millénaire par l'introduction, depuis l'Asie centrale, d'une deuxième vague de techniques métallurgiques, celle du bronze, dont le traitement a été probablement repensé par le savoir-faire des artisans chinois. Ainsi sont fabriquées des armes et naît une noblesse guerrière qui retrouve les voies d'une mentalité archaïque de prédation, transférée du monde de la nature à celui des hommes, avec levée de tributs par la contrainte, institutionnalisation de la guerre comme moyen de se procurer, par pillage, des biens, des esclaves, et des victimes à immoler en masse lors des sacrifices aux ancêtres, garants du statut hiérarchique et du lien territorial. La chasse, forme primordiale de la prédation et entraînement à la guerre, se voit alors évidemment reconnaître un grand rôle.
 
 
    L'émergence des Shang (début du IIe millénaire av. J-C)
 
 
    La porte de l'histoire achève de s'ouvrir quand un clan du Henan s'impose aux autres, probablement parce que, son domaine étant situé dans un district central de la moyenne vallée du Huanghe, au confluent des cultures de Yangshao et de Longshan, il a pu non seulement en accumuler les acquis, mais encore apparaître territorialement comme l'héritier des traditions représentées par les empereurs civilisateurs et les Xia. Le clan Shang est donc en position d'exercer un magistère spirituel en relation avec un culte du sol des ancêtres, source ultime du pouvoir. Un chef de ce clan, Tang le Victorieux, parvient à fonder une dynastie en 1765 avant J-C (date retenue par la tradition).
 
    Même si pendant les premiers siècles de l'histoire de la dynastie les rois Shang, personnages sacrés, n'ont exercé pour l'essentiel que des fonctions religieuses et au profit d'une nébuleuse de deux à trois cents clans (dont les domaines n'étaient bien souvent que de simples villages), la stabilité dynastique (dix-sept générations) permet à la Chine de constituer les bases de son futur modèle culturel. La dynastie Shang est la première historiquement attestée.
 
    La royauté
 
 
    À l'abri de palais-capitales entourés de remparts de terre pilée de plusieurs kilomètres de long s'élaborent les principes de l'ordre chinois, et si une montée en puissance s'effectue avec régularité, il reste que le royaume s'apparente pendant longtemps à une confédération fluide. Les découvertes archéologiques tendent, notons-le, à confirmer les dates données par la tradition.
 
 
    Les Shang (1765 - 1122 av. J-C) Il faut attendre le XIVe siècle pour que, avec le transfert de la capitale à Dayi (aujourd?hui Anyang), cette civilisation palatine soit bien connue, et révèle un système d'écriture déjà riche de quelque 5?000 caractères, une esthétique complexe et raffinée aux formes animalières très stylisées, les débuts de l'architecture en bois, ainsi que des inscriptions sur os et écaille liées à la divination. On note également un nouvel apport de l'Asie centrale avec de nouvelles techniques équestres (char).
 
    Ce n'est qu'au XIIIe siècle que la notion d'État émerge suffisamment pour qu'un roi, par la réforme du calendrier et des sacrifices, affirme le pouvoir politique contre la tutelle des clercs. Si au XIIe siècle les premières inscriptions votives sur vases de bronze attestent une autonomie et une formalisation croissantes du politique, on ne voit cependant pas pour autant se développer les marques d'une véritable bureaucratie. À son apogée, le royaume proprement dit ne dépasse pas la moyenne vallée du Huanghe, mais il rayonne bien au-delà: au sud dans la vallée du Yangzijiang, au nord jusqu'en Mongolie, au moment où dans la steppe du Nord et du Nord-Ouest, le semi-nomadisme pastoral se développe. Ce nomadisme exerce par contrecoup une pression de plus en plus vive sur les clans de l'espace Shang, conduisant à la fin du XIIe siècle au développement puis à la domination d'un clan de l'ouest de la vallée de la Wei, les Zhou, qui, au contact de la steppe, avaient acquis une maîtrise supérieure des techniques cavalières.
 
 
    Les Zhou antérieurs (XIe siècle - 771 av. J-C)
    Chronologie (vers - 1025)
 
    Vers 1121 av. J-C d'après la chronologie traditionnelle, mais plus vraisemblablement dans le courant du XIe siècle, une cité du nom de Zhou (Shenxi) met fin à la dynastie des Shang-Yin. Si les Zhou prolongent culturellement la période Shang (construction, écriture, sépultures, vases de bronze), on entre néanmoins dans une ère d'élaboration plus réfléchie des fondements de l'ordre chinois (théorie du mandat du Ciel, textes géomanciens, succession dynastique de père en fils, etc.) et d'émergence de l'État, car les Zhou, marginaux dans l'espace chinois, assurent leur pouvoir par une administration centrale protobureaucratique non héréditaire.
 
    Mais surtout, divisant leur domaine entre les branches de leur famille et les chefs de clans ralliés, les Zhou multiplient les palais-capitales et ouvrent l'espace économique (artisans et commerçants commencent à se distinguer de la masse paysanne), ce qui se traduit par un grand rayonnement sur les populations environnantes. Parallèlement, l'espace politique déborde le cadre du Huanghe pour atteindre les vallées méridionales du Huaihe et du Yangzijiang.
 
    Mais si le royaume croît, son mode d'administration n'en présente pas moins un danger: la gestion locale décentralisée débouche sur la féodalisation par hérédité, et la pyramide politico-rituelle monocentrique des Shang devient polycentrique. L'affaiblissement des Zhou se marque au début du IXe siècle, quand l'accession au trône du roi Yi est imposée par une coalition de vassaux. Il s'accélère sous le règne suivant (Li, 878-841) quand la dynastie manque d'être renversée. Son destin est enfin scellé avec le passage des peuples de la steppe au nomadisme pastoral, car aux ruptures du front intérieur s'ajoute celle du front extérieur: les cavaliers déclenchent les premières attaques (822), et leur pression conduit bientôt les Zhou à abandonner leurs domaines ancestraux en les contraignant, en 770, à transférer la capitale de Hao (Xi?an) à Luoyang au cœur de la moyenne vallée du Huanghe, région où le roi est tributaire de ses vassaux.
 
 
    Les Zhou postérieurs (770 - 256 av. J-C) et la période Chunqiu (722 - 481 av. J-C) Le royaume zhou se trouve alors mué en confédération de cités nobles à laquelle les zones du sud du Yangzijiang, qui ont connu leur propre développement indépendamment des Zhou, commencent à participer. La Chine entre ainsi dans une phase sans autorité centrale, alors que les tensions extérieures imposent aux fiefs de trouver en leur sein un chef qui prenne la tête des intérêts militaires de la confédération. Zheng, porte-parole du Nord, le fait au nom des Zhou. Mais le refus des royaumes du Sud institutionnalise l'éclatement de la Chine en une centaine de «seigneuries», qui assument de plus en plus leur autonomie; c'est la période Chunqiu (Printemps et Automnes, 722-481). Qi finit alors par revendiquer l'hégémonie pour lui-même en rompant avec les Zhou (667), et en imposant un serment d'alliance aux autres seigneuries. Le clan héritier des Shang, les Song, espère reconstituer la royauté à son profit, mais il est défait par Chu.
 
    Au cours de ces siècles de compétition entre principautés, leur nombre se réduit rapidement: de vingt-quatre ayant une quelconque importance au VIIe siècle, à quatorze au VIe siècle. À ces transformations politiques (guerres et expansion constantes) s'ajoutent les transformations technologiques (usage du fer vers 600) qui influent sur l'évolution des formes de gouvernement: premier code de loi écrit (536), services de bureaucrates dédoublant ceux des nobles héréditaires; c'est en outre à cette époque que vécurent Confucius et Laozi, les deux philosophes chinois les plus déterminants pour l'évolution du pays. Parallèlement, dans le sud de la Chine, où depuis des millénaires rayonnent les influences culturelles du Nord, commencent à apparaître des «royaumes barbares» du bronze, qui ne devaient pas être sans points communs avec le royaume Shang à ses débuts.
 
 
    Les Royaumes combattants (453 - 222 avant J-C)
    Chronologie (- 453) En Chine du Nord, pendant que se développe l'État proprement dit, les outils de fer et le recours à la traction animale accroissent considérablement la productivité des terres, ce qui favorise l'essor de l'économie, comme en témoigne l'apparition de la monnaie vers 500. En Chine centrale et côtière, le Ve siècle voit l'émergence des royaumes de Wu et de Yueh, sur des terres qui avaient relevé du Longshan mais n'avaient jamais été partie prenante de l'histoire du Nord. Ces nouveaux royaumes participent désormais aux jeux hégémoniques de l'espace chinois, si bien qu'on ne peut plus parler, ni logiquement ni territorialement, d'espace chinois zhou, et ce d'autant plus que ces royaumes périphériques, s'étendant sur les populations barbares environnantes, sont aussi contrastés les uns par rapport aux autres qu'ils le sont globalement par rapport aux royaumes de l'intérieur.
 
    La crise de la société féodale est résolue par le développement d'institutions monarchiques et populistes aboutissant à un État centralisé appuyé (grâce à la suppression des fiefs et à l'élimination de la haute noblesse) sur la paysannerie, source de puissance économique et militaire; mais, en 453 avant J-C, le royaume de Jin est divisé en trois principautés (Han, Wei et Zhao) : commence alors une nouvelle période, dite des Royaumes combattants Zhanguo. Sept royaumes puissants et organisés – aux administrations centralisées confiées à des bureaucrates plutôt qu'à une noblesse héréditaire, développant des systèmes juridiques et fiscaux qui aident à la conscription et aux travaux publics – vont se combattre pendant deux cent cinquante ans.
 
    Le IVe siècle av. J-C voit de notables développements (mise en valeur systématique des plaines du Nord) et progrès techniques et culturels, de l'invention de l'arbalète à la composition de l'Art de la guerre, par Sun Tzu, et au développement des écoles confucianiste (avec Mencius) et taoïste.
 
    À la fin du siècle, l'ancien territoire zhou et les royaumes qui se sont élevés à sa périphérie composent une mosaïque d'une dizaine d'«États», plus ou moins intégrés économiquement mais étrangers les uns aux autres et à ce point conscients de leur identité souveraine que leurs divers princes finissent par se reconnaître mutuellement le titre de roi (335). C'est dans ce contexte d'éclatement que se manifeste un besoin de gestion unitaire: le royaume de Qin, absorbant par la force un royaume après l'autre, accomplira autour de lui l'union de la Chine.
    L'empire militaire (221 av. J-C - 907 apr. J-C) On entre alors dans la troisième grande phase de l'histoire de la Chine, celle des empires militaires, par lesquels le Nord prend le contrôle du Sud.
    Les Qin et les Han antérieurs (221 av. J-C - 9 apr. J-C)
    La Chine des Han (206 av. J.-C - 220 apr. J.-C.) Chronologie (- 206) Chronologie (- 221) L'opération est entamée par le premier empereur, Qin Shi Huangdi, qui, pour fondre les royaumes en un empire (221), brûle les livres, unifie l'écriture, les poids et mesures, établit un code pénal impitoyable. Il s'efforce d'ouvrir une voie d'accès directe aux mers du Sud (les Chinois vont commercer jusqu'à Java). Malgré le succès de l'opération, l'empire éclate avec le fils de Qin Shi Huangdi, Ershi Huangdi (209-207) et l'espace chinois retourne, pour un siècle, à son morcellement. Qu?un aventurier, Liu Bang (Han Gaozu) se taille un fief en Chine du Nord et refonde une dynastie, celle des Han antérieurs (de 206 av. J-Cà 9 apr. J-C), n'empêche pas qu'il en soit réduit à enregistrer la reconstitution des principautés.
 
    Mais, sous les Han, le fer, devenu d'usage courant, permet d'abandonner la pratique du brûlis au profit d'une agriculture individuelle qui conduit à un accroissement démographique autorisant une deuxième construction impériale. Celle-ci est rendue nécessaire par l'émergence de l'empire des Huns, avec lequel se joue l'avenir des communications entre Chine et Occident. Elle est l'œuvre de l'empereur Wudi (140-87); il commence par réformer les institutions, fait disparaître les frontières intérieures (ce qui est favorable aux progrès du commerce et de l'artisanat), et reprend la politique d'expansion. Non content de contrôler le Sud, il tient la route de la soie. Ainsi la Chine se trouve-t-elle bientôt au centre d'un gigantesque espace politique qui s'étend de Fergana (dans l'actuel Ouzbékistan) au Pacifique et de la Corée au centre du Viêt-nam, et qui restera le cadre de référence de l'espace chinois jusqu'à nos jours.
    Les Han postérieurs et la dislocation impériale (25 - 304) Mais au-delà d'incontestables succès, cette politique impériale entraîne une crise financière en même temps que politique en raison d'un excès de centralisation, et conduit à la brève usurpation d'un dignitaire, Wang Mang (9-23). L'empereur Guang Wudi restaure la dynastie et déplace la capitale de Chang an à Luoyang, ce qui donne une nouvelle importance au nord-ouest de la Chine. Reprenant à nouveau une politique expansionniste, la Chine brise l'empire des Huns et fait sa jonction avec les Kouchans de l'Inde du Nord. Il s'en fallut de peu qu'elle n'entrât directement en contact avec Rome. Ayant atteint leur objectif, les Han arrêtent (vers 100) leurs guerres d'expansion, et la Chine connaît une phase de prospérité culturelle (invention du papier, premiers dictionnaires).
 
    Cependant, la dynastie ne parvient pas à juguler la crise institutionnelle et administrative liée à son gigantisme et perd la réalité de son pouvoir après 150; ainsi, bien que le commerce international maritime reste actif, l'empire entre dans un processus de délitement intérieur qui se conjugue avec la réémergence d'un empire nomade offensif en Mongolie, celui des Xianbei. Ce dernier perturbe le trafic caravanier de l'Asie centrale, que la révolte intérieure des Turbans jaunes achève de ruiner en 184.
 
    S'ouvre alors une longue période (190-310) au cours de laquelle les chefs d'armée finissent par se partager l'ensemble chinois. En effet, à la dynastie impériale des Han postérieurs (25-220) succède la période dite des Trois Royaumes (grande époque de la chevalerie chinoise, 220-280), avec le royaume de Wei (vallée du Huanghe), et deux pouvoirs méridionaux, les Shu dans le Sichuan et les Wu dans le bas Yangzijiang et quelques régions plus au sud. La réunification par les Jin de l'ouest (280-304) n'est qu'un rideau de fumée et l'empire poursuit en réalité sa décomposition, dont profitent les Barbares cantonnés le long des frontières pour pénétrer en Chine.
 
 
    Le temps des Barbares (304 - 589) Après les premières révoltes des Barbares (304), et surtout la prise de Luoyang, la vieille capitale impériale, par les Xiongnu (nomades asiatiques) en 311, s'ouvre une période obscure de trois siècles. Si la Chine du Nord voit l'étonnante succession des dynasties éphémères de «seize royaumes» barbares (304-439), un membre de la famille impériale qui s'était réfugié à Nanjing (Nankin) restaure (318) la dignité impériale (dynastie des Jin de l'Est ou Tsin méridionaux), dans une Chine du Sud qui reste prospère grâce à ses relations maritimes. Puis Chine du Nord et Chine du Sud inversent leur trajectoire.
 
    Au Nord, la situation se stabilise quand une bande turque, les Topa, avec Kouei (386-409), entame un processus d'unification. En même temps qu'elle se sinise, cette bande donne naissance à l'empire des Wei (426-534), qui se convertit au bouddhisme (452) et reprend le trafic caravanier en Asie centrale: ainsi commercialement réanimée, la Chine du Nord retrouve son dynamisme. Mais, dans la vallée du Yangzijiang, les grandes familles terriennes constituent une aristocratie endogame qui domine un pouvoir central de plus en plus faible. En 420, Liu Yu renverse les Jin et les dynasties se succèdent si rapidement (Song, 420-478; Qi, 479-501) que l'Empire devient une façade. Puis Chine du Nord et Chine du Sud retrouvent un destin parallèle: la situation dans le Sud se détériore avec les Liang (502-557) puis les Chen (557-588), tandis qu'en Chine du Nord une guerre civile ravage l'empire des Wei (523).
 
    C'est alors que de ces aristocraties militaires de sang mêlé du Nord sortent successivement deux dynasties qui vont refaire l'Empire. La première, les Sui, récupère la succession des segments dynastiques du Nord, puis reprend le contrôle du Sud (589).
    Sui (589 - 617) et Tang (618 - 907)
    L'Asie vers 750 La Chine des Tang (618-907)
 
    Les Sui (589-617) cimentent l'Empire dans la lignée des institutions Wei, sous le patronage d'une forme de bouddhisme acceptable du nord au sud, et par un réseau de communications fluviales (Grand Canal). Mais l'effort est trop vif et une révolte porte au pouvoir les Tang (618) qui, après avoir détruit au nord les Turcs orientaux (630), instaurent leur pouvoir en Asie centrale. Dans les années 660, l'Empire chinois atteint son extension maximale avant les conquêtes mandchoues du XVIIIe siècle, suscitant à sa périphérie la création d'une couronne d'États sinisés: Koryo en Corée, Bohai en Mandchourie, Nanzhao au sud-ouest.
 
    De 590 à 755, l'aristocratie sino-barbare, qui domine au commencement du nouvel Empire, entre en lutte avec une nouvelle classe de fonctionnaires créée afin de renforcer l'armature administrative de l'État. Le système des allocations de terres à la paysannerie et de contrôle des propriétés foncières, qui s'est perpétué en Chine du Nord depuis la formation de l'État centralisé, est en déclin; il est remplacé, dès la fin du VIIIe siècle, par un système d'impôts sur les récoltes: aux droits sur les hommes et leur travail se substituent des droits sur les terres. De façon parallèle, la conscription va faire place au mercenariat.
 
    L'Islam, après avoir pris le contrôle des voies maritimes, s'attaque à l'Asie centrale et vainc les Chinois à la bataille de Talas (751). Cette défaite éveille les ambitions des Turcs et des Tibétains, et provoque une révolte générale dans l'empire. En 762, les Tang restaurent l'ordre mais abandonnent leurs tributaires de l'Asie centrale. La Chine entre alors dans une phase (755-960) où l'aristocratie guerrière qui avait réunifié le pays est éliminée en même temps que la nouvelle classe de fonctionnaires qui s'était formée au cours de la période précédente. Des aventuriers se constituent des armées de mercenaires et se partagent le pays. La défaite des Ouïgours par les Kirghiz (840) marque le début de la crise. Une jacquerie dirigée par Huang Chao s'empare de Chang?an. Le pouvoir des Tang cesse en 907, alors que le Sud commence à disputer au Nord la suprématie économique.
 
 
    L'empire mandarinal : apogée et déclin
 
 
    On entre alors dans la dernière phase, celle de l'empire mandarinal, dont la dynamique économique repose de plus en plus sur le Sud. Elle débute par une phase d'éclatement avec la période des Cinq Dynasties au Nord et des Dix Royaumes au Sud, crise d'autant plus sensible que, au lendemain de la disparition du dernier Tang, un groupe barbare, les Khitan, relève la dignité impériale sous le nom de Liao (947-1125) en Chine du Nord.
    Les Song (960 - 1278)
    La Chine des Song et des Yuan (960-1368) Chronologie (960) Le désordre dure jusqu'à la réunification par un chef d'armée qui fonde la dynastie des Song (960) et stabilise les frontières par un traité avec les Liao en 1004, puis avec les Xi Xia en 1044.
 
    La Chine est alors intégrée à l'économie maritime du monde indien et connaît la prospérité: la circulation monétaire et commerciale se généralise, à tel point qu'apparaît le premier véritable papier-monnaie (1024). Cette grande période de civilisation (invention des caractères mobiles d'imprimerie, premier usage de la boussole sur les navires chinois) voit également le développement rapide du corps des fonctionnaires et le perfectionnement de la machine administrative.
 
    Une nouvelle classe de familles lettrées qui vivent du produit de la rente foncière se constitue et va dominer la vie politique chinoise jusqu'à l'époque contemporaine pour former l'empire mandarinal. En 1125, les Khitan sont défaits par les Jürchen, qui fondent une dynastie à prétention impériale, les Jin, avec Pékin pour capitale (1151); les Song se réfugient au sud du Yangzijiang et transfèrent leur capitale à Hangzhou.
    La dynastie mongole des Yuan (1260 - 1367)
    Chronologie (1279) Chronologie (1264) Au milieu de cette prospérité la menace repart du Nord avec les Mongols. Après avoir pris le contrôle de la Chine du Nord et établi la dynastie Yuan en 1260, ils se lancent à l'assaut de la Chine des Song. La prise de Canton (1277) marque la fin de la résistance.
 
    Les Mongols installent des résidents jusqu'en Asie du Sud-Est. Avec leur régime autoritaire apparaît le système des véritables provinces, centres administratifs dépendant directement du gouvernement. Après une phase de prospérité, les rivalités entre les khanats mongols, qui ont étendu leur territoire de la Corée à la Russie, et l'impossibilité de s'assurer durablement de l'Asie du Sud-Est, qui était la clé des relations maritimes, provoquent une crise politique et financière. Vers 1350 éclate une révolte populaire dans l'empire qui conduit à l'établissement de la dynastie des Ming (1368), et les derniers Mongols refluent vers l'Asie centrale (1387).
    Les Ming (1368 - 1644)
    La Chine des Ming (1368-1644) Chronologie (1368)
 
    Les Ming (1368-1644) tentent de réorienter la Chine vers ses bases agraires et administratives (recrutement d'une administration par concours). Puis, au XVe siècle, ils reprennent la politique des Song et des Mongols, traitant en tributaires les principautés indochinoises et lançant de grandes expéditions qui précèdent celles des Portugais: en 1405, l'amiral Cheng Ho conduira ses flottes à travers l'océan Indien, jusqu'en Afrique et en Arabie.
 
    Mais ils doivent bientôt renoncer à leur politique maritime et abandonner Nankin pour Pékin (1421), car les Mongols redeviennent menaçants. L'Empire retrouve une logique continentale dans un idéal d'autarcie économique et d'isolationnisme politique, bien que l'activité marchande et commerciale orientée vers le Sud ne se démente pas.
 
    L'arrivée des Occidentaux en mer de Chine donne un nouvel élan aux échanges. Les Mongols ne cessant d'attaquer, les Ming abandonnent l'Asie centrale et, dans la première moitié du XVIe siècle, se fortifient: à l'abri de la Grande Muraille, la Chine connaît la prospérité. Mais l'excès de centralisation entraîne une dépression économique. Le développement des grands domaines provoque une crise de la paysannerie, ruine la pyramide sociale et féodalise l'État. À la fin du XVIe siècle, l'afflux d'argent du Nouveau Monde permet de redresser la situation, mais les Mandchous (Jürchen), profitant du désordre croissant, progressent de manière foudroyante, et les derniers reliquats des Ming dans l'extrême sud de la Chine disparaissent en 1644.
 
 
    Les Qing (1644-1911)
    Chronologie (1644) La nouvelle dynastie, les Qing, adopte pour l'essentiel les institutions de la dynastie des Ming, et se concilie ainsi les anciennes classes lettrées. Une prospérité sans précédent contribue à la paix sociale. Les Mandchous, après avoir signé avec les Russes le traité de Nertchinsk (1689), se retournent contre les Mongols qu'ils finissent par écraser au terme de plus d'un demi-siècle de durs combats (fin de l'Empire dzoungare en 1758).
 
    La seconde moitié du XVIIIe siècle voit l'apogée de l'Empire mandchou, dont l'influence s'étend de la basse Volga au Pacifique, de la mer d'Okhotsk à la péninsule Indochinoise. La population passe d'une centaine de millions d'habitants au début du XVIIIe siècle à plus de 300 millions au début du siècle suivant. Mais l'Empire chinois entre dans une crise structurelle.
 
 
    Chronologie (1851) Chronologie (1839) Le régime impérial va être soumis à une double pression: celle, interne, des sectes et des sociétés secrètes qui, du Lotus Blanc en 1796 aux Boxers en 1900, vont combattre la dynastie mandchoue au nom d'idéaux divers, tantôt modernistes, tantôt traditionnels et xénophobes; celle, externe, des puissances européennes, à commencer par la Grande-Bretagne, qui, de traités en interventions armées, vont sans cesse obtenir de nouveaux avantages commerciaux et territoriaux (les «concessions»). Les guerres de l'Opium (1842 et 1856) voient la Grande-Bretagne imposer à la Chine l'entrée sur son territoire de l'opium indien, mais provoquent le soulèvement de Hong Xiuquan qui proclame l'Empire céleste de la Grande Paix (Taiping): le mouvement ne sera réduit qu'en 1864 avec l'aide des Occidentaux, qui se livrent une concurrence diplomatique et commerciale acharnée, mais organisent à plusieurs reprises des expéditions contre Pékin – en 1860: bataille de Palikao (Baliqiao) et sac du palais d'Été.
 
 
    L'expansion japonaise (1875-1943) Chronologie (1895) La première guerre perdue contre le Japon (1894-1895) pour le contrôle de la Corée et la mainmise de la Russie sur la Mandchourie (1896-1898) créent un climat favorable à un sursaut politique et à la modernisation du pays (c'est la période des «Cent Jours» du mandarin Kang Youwei), mais l'impératrice Cixi fait annuler les réformes. Sa mort et celle de l'empereur Guangxu (1908) entraînent l'avènement d'un prince de trois ans, Puyi, et précipitent l'effondrement de la dynastie.
 
 
    La République chinoise (1911-1949)
 
 
    Sun Yat-sen, qui fonde l'Association pour la régénération de la Chine en 1900 puis le Guomindang (parti national du peuple) en 1908, fait proclamer, le 29 décembre 1911, la République, dont il devient le premier président le 1er janvier 1912. Mais il est contraint de s'incliner devant le général Yuan Shikai, qui s'empare du pouvoir en quelques semaines.
 
 
    Yuan Shikai (1912-1916) Yuan obtient successivement l'abdication de l'empereur (12 février 1912) et le départ de Sun Yat-sen (10 mars 1912), puis dissout le Guomindang (4 novembre 1913) et l'Assemblée nationale (15 décembre 1913). Les Japonais profitent alors de la confusion et de l'engagement des puissances occidentales dans la Première Guerre mondiale pour chercher à s'installer durablement en Chine : le 18 janvier 1915, ils présentent au gouvernement chinois les «vingt et une demandes», qui comprennent le transfert au Japon des droits que l'Allemagne avait obtenus dans le Shandong — région conquise en 1914 par les Japonais  —, la concession de divers droits nouveaux notamment sur la Mandchourie et en Mongolie, jusqu'au contrôle par le Japon de divers aspects de la politique et des finances de la Chine. Yuan accède à la plupart de ces exigences — mais pas le droit de contrôle sur la politique chinoise —, et meurt après avoir échoué à se faire reconnaître comme empereur, le 6 juin 1916.
 
 
    Seigneurs de la guerre et Guomindang (1916-1939) La Chine est aussitôt déchirée par les rivalités des généraux, les «seigneurs de la guerre», tandis que Sun Yat-sen établit un gouvernement nationaliste à Canton en 1917. Les puissances occidentales tentent de contrecarrer la politique d'expansion japonaise en déclarant, lors de la conférence de Washington de février 1922, le principe de la «porte ouverte» ou de la «chance égale pour toutes les nations en Chine», et elles rendent aux Allemands les droits qu'ils avaient acquis sur le Shandong. La mort de Sun Yat-sen (12 mars 1925), fait éclater le Guomindang en deux fractions : l'une dure, avec notamment la veuve de Sun, Song Qingling, l'autre modérée, avec Jiang Jieshi (Tchang Kaï-chek). Dans le même temps, le Parti communiste chinois (PCC), créé en 1921, s'organise peu à peu et se développe ; sur l'ordre du Komintern, qui prône alors la politique de front uni, le parti s'allie une première fois au Guomindang pour mener une «guerre civile révolutionnaire», mais il subit de graves défaites en 1927 (massacre des communistes de Shanghai par les troupes de Jiang Jieshi en avril). Les communistes se réfugient aux confins du Hunan et du Jiangxi et réorientent leur politique en travaillant à établir des «bases rouges» paysannes.
 
 
    La Longue Marche (1934-1935) La Chine est alors le théâtre d'un double conflit : entre les nationalistes de Jiang Jieshi et les communistes de Mao Zedong d'une part ; entre l'ensemble de ceux-ci et le Japon, qui occupe depuis 1931 la Mandchourie. Tandis que Nankin devient la capitale des nationalistes, les communistes échappent aux cinq grandes «campagnes d'encerclement et d'anéantissement» menées par les forces nationalistes entre 1930 et 1934, puis, au terme de la Longue Marche (1934-1935) qui les mène du Jiangxi au Shaanxi, ils créent un État autonome avec Yan?an pour centre. En décembre 1935, les communistes, considérant que la situation du moment «se caractérise principalement par les efforts de l'impérialisme japonais pour transformer la Chine en une colonie», font taire les oppositions «de gauche» à l'idée d'un «front uni antijaponais» avec le Guomindang. Communistes et nationalistes chinois se retrouvent donc unis, du moins en apparence, face au Japon.
 
 
    Guerre contre le Japon et guerre civile (1937-1949)
 
 
    La Chine, en guerre officiellement contre le Japon — les Japonais s'emparent de Pékin en 1937 —, est bientôt l'un des fronts de la Seconde Guerre mondiale : communistes et nationalistes — ces derniers ont transféré leur capitale à Chongqing et bénéficient de l'aide des États-Unis —, combattent tantôt unis, tantôt séparés, et se disputent le contrôle des régions libérées. Dès 1938, les Japonais ont pris possession des principaux sites stratégiques sur le plan productif — Pékin, Canton, Shanghai et Wuhan sont entre leurs mains —, et ils ne cherchent pas à étendre leurs conquêtes militaires vers l'ouest, ce qui leur aurait coûté trop d'efforts en hommes, en matériel et en temps à un moment où d'autres fronts requièrent leur attention. Des raids aériens frappent cependant la capitale, Chongqing, avec l'espoir de faire ainsi tomber le régime nationaliste, mais l'entrée en scène des chasseurs du général américain Chennault suffit à éloigner la menace.
 
    Les Japonais tentent cependant une offensive d'envergure à partir d'avril 1944 (opération Ichigo, soit «numéro un» en japonais) dans le but de tourner la supériorité navale des États-Unis et de relier, par terre, la Corée au Viêt-nam. Si l'offensive japonaise réussit à créer un corridor, elle a surtout pour effet de porter un coup sévère aux troupes nationalistes sur le territoire desquels les Japonais ont taillé leur voie de passage. En 1945, la capitulation du Japon modifie d'un coup les données politiques et militaires en Chine.
 
    Les communistes contrôlent alors des régions qui regroupent 95?5 millions d'habitants, selon ce qu'affirme Mao Zedong dans Du gouvernement de coalition (avril 1945). Dans ce même texte, il indique que la nouvelle politique du parti communiste sera, à la libération, de former un gouvernement démocratique de coalition, et il affirme ne pas rejeter le capitalisme mais au contraire vouloir le développer «jusqu'à un certain degré». Face au PCC, le Guomindang, fort de l'aide américaine et de sa supériorité numérique, cherche à en finir avec la menace communiste. Cependant, alors que Roosevelt s'était engagé, lors de la conférence du Caire en novembre 1943, à aider le gouvernement de Jiang Jieshi à constituer quatre-vingt-dix nouvelles divisions et même à maintenir des forces en Chine jusqu'au rétablissement de la république, il accepta, lors de la conférence de Téhéran en décembre 1943, que l'Union soviétique prenne part à la guerre en Extrême-Orient, en échange, entre autres, de diverses concessions en Chine - par l'accord de Yalta, Staline s'engage en effet à déclarer la guerre au Japon au plus tard trois mois après la fin des opérations militaires en Europe.
 
 
    La victoire des communistes Cette réorientation de la diplomatie américaine, en permettant à l'Union soviétique de jouer un rôle en Extrême-Orient, a des conséquences décisives : à la capitulation du Japon, l'Union soviétique peut occuper la Mandchourie sans crainte de représailles, tandis que seules trente-neuf divisions sur les quatre-vingt-dix promises par les Américains aux nationalistes chinois sont effectivement constituées. Les Américains tentent alors de promouvoir une solution pacifique et réunissent les représentants du Guomindang et du parti communiste sous la présidence du général George Marshall. Un cessez-le-feu entre les deux partis est signé le 10 janvier 1946, puis les négociateurs prévoient de convoquer une Assemblée nationale pour le mois de mai - qui ne sera finalement réunie qu'en mars 1948. Cependant, la guerre civile reprend dès février 1946. Les communistes tirent profit des atermoiements américains : alors que les nationalistes remportent des victoires qui pourraient être décisives, Marshall impose un nouveau cessez-le-feu, tandis que Staline décide d'aider les communistes chinois. Lorsque Marshall rentre aux États-Unis, en janvier 1947, il ne peut que constater son échec : les États-Unis ont privé les nationalistes de toute aide militaire parce que ceux-ci n'ont pas respecté la trêve. Jiang Jieshi se trouve ainsi en position d'infériorité, même s'il a été réélu président de la République à Nankin en 1948 ; les nationalistes perdent peu à peu le contrôle des grandes villes devant l'avance de l'Armée populaire de libération, qui bénéficie en outre de la défection de plusieurs unités nationalistes. Le 1er octobre 1949, Mao proclame à Pékin la République populaire de Chine.
 
 
    La république populaire : l'ère Mao (1949-1976)
    Chronologie (1949) Chronologie (1949) L'avènement de la république populaire de Chine marque une rupture avec les décennies précédentes. La première évidence est l'ordre, qui se substitue, au moins en apparence et dans un premier temps, au chaos dans lequel était plongé le pays. Les étrangers, dont le rôle avait été si néfaste depuis un siècle, disparaissent avec le départ des Japonais et des conseillers américains du Guomindang. La période qui va de 1949 à 1976, année de la disparition de Zhou Enlai puis de Mao Zedong, est marquée par le primat de la politique («Mettre la politique au poste de commande», ainsi que le déclare Mao), ce qui entraîne une distorsion de tous les autres champs, qu'il s'agisse de la société, de l'économie, de la diplomatie, qui se trouvent sous l'influence directe des conflits politiques agitant la direction du parti. Analyser la Chine maoïste aboutit ainsi souvent à un dilemme : telle décision, telle orientation, vient-elle d'une volonté politique «révolutionnaire» ou est-elle dictée par des circonstances que le discours politique s'entretient à maquiller?? Dans l'appréciation du «modèle chinois», ces enjeux politiques et idéologiques n'ont toujours pas disparu : à une sympathie parfois excessive des premiers analystes de l'expérience maoïste jusque dans les années 1970 succède une vision contemporaine hostile, qui explique souvent les événements par le «délire» des dirigeants. Pourtant, manquent encore beaucoup de données statistiques fiables et des témoignages dépassionnés qui permettraient d'apprécier cette période de façon plus réaliste.
 
    La Chine en 1949 Lorsque les communistes accèdent au pouvoir, ils trouvent un pays en proie au chaos : des millions de Chinois n'ont plus de quoi se nourrir ; la misère dans les villes est effrayante ; une partie des troupes du Guomindang résiste encore et ne se rendra qu'en 1950 ; les dégâts causés par la guerre sont considérables, et il faut y ajouter le démontage, par les Soviétiques, des usines installées en Mandchourie, lesquelles jouaient un rôle essentiel dans les domaines de l'énergie, des textiles ou de la chimie ; enfin, l'inflation atteint des niveaux inconnus jusque-là. Ainsi, alors que le cours du yuan-or avait été établi à un quart de dollar le 19 août 1948, il en faut 23 millions en mai 1949 pour acquérir un dollar. Les nationalistes, eux, soit quelque 2?1 millions de personnes, dont un demi-million de soldats, ont trouvé refuge à Taiwan.
 
 
    La politique intérieure de 1949 à 1976 Par la «dictature démocratique du peuple», le Parti communiste chinois (PCC) se donne pour tâche d'en finir avec «l'impérialisme, le féodalisme et le capitalisme». La politique intérieure chinoise est la résultante complexe de nécessités économiques concrètes, de luttes de factions au sein du PCC, d'influences extérieures — notamment soviétique jusqu'au début des années 1960 — et d'aléas comme une bonne ou une mauvaise saison, la Chine restant un pays très largement agricole, soumis en conséquence aux conditions naturelles. (Les faits de politique extérieure sont traités plus bas.)
 
 
    La référence soviétique (1950 - 1955) Dans les premières années de la reconstruction, le PCC ne peut guère compter que sur l'aide soviétique. Les dirigeants chinois, qui pensent en effet que «la neutralité n'est qu'un camouflage» (Mao), choisissent sans ambiguïté le camp soviétique, les États-Unis étant le principal représentant de l'impérialisme honni.
 
    L'industrie et le commerce. L'aide de Moscou se concrétise par un premier traité économique, signé dès février 1950, qui accorde à la Chine un crédit de 300 millions de dollars — qui ne représente cependant qu'une partie de la valeur des matériels démontés par les Soviétiques en Mandchourie, et qui est inférieur de moitié à l'aide accordée au même moment par Staline à la Pologne, par exemple. L'aide soviétique se compte également en grands projets d'industrie lourde, y compris l'envoi d'ingénieurs (environ dix mille) pour les mettre sur pied, ce qui a pour conséquence de lancer la Chine dans l'imitation du «modèle» soviétique : adoption de plans quinquennaux, dont le premier commence en 1955 et pour la réalisation duquel l'aide soviétique est déterminante, notamment dans la production de fer et d'acier, le développement des transports ferroviaires et la production de pétrole ; développement de l'industrie lourde (52 % du total des investissements du premier plan quinquennal lui sont consacrés), au détriment de l'industrie des biens de consommation (6?5 %) et de l'agriculture (7?6 %) ; système d'enseignement calqué sur le système soviétique… Les entreprises privées sont nationalisées : 95?7 % d'entre elles le sont à la fin de 1956, tandis que les objectifs des planificateurs sont sans cesse revus à la hausse, dans un grand mouvement d'émulation socialiste. En nationalisant le commerce de gros et en développant les coopératives, l'État prend progressivement le contrôle de l'ensemble des échanges. Le dépôt obligatoire à la banque d'État de l'or, de l'argent et des devises, effectué en corrélation avec la création du renminbi («monnaie du peuple»), permet de rétablir les circuits monétaires. Les échanges extérieurs se déroulent en priorité avec l'Union soviétique, qui représente 55 % du commerce extérieur de la Chine entre 1952 et 1955.
 
    La réforme agraire. La réforme agraire, qui doit permettre d'en finir avec le féodalisme, est conduite d'une manière radicale par l'expropriation des propriétaires fonciers. Proclamée le 28 juin 1950, elle tente de mettre en application le principe «La terre à celui qui la cultive». Son résultat est indéniable : en 1953, quelque 120 millions de paysans pauvres deviennent propriétaires et 180 millions voient leur parcelle augmentée (leur lopin est alors en moyenne de 0?8 ha contre 1?2 ha pour les paysans riches, catégorie comprenant tous les paysans qui employaient auparavant des ouvriers agricoles) ; 46 millions d'ha sur 107 au total ont été enlevés aux propriétaires fonciers et redistribués. Ce succès se révèle cependant fragile : lors de la phase suivante, qui consiste à entamer le processus de collectivisation des terres, les paysans nouvellement propriétaires ne comprennent pas pourquoi il faut désormais travailler en commun, et nombre d'entre eux choisissent alors de nuire aux coopératives qui se mettent malgré tout en place — la Chine en compte 400?000 à la fin de 1954. Dès 1955, dans certaines provinces, des coopératives sont dissoutes (15?000 sur 53?000 au Zhejiang). Mao décide d'accélérer le mouvement, et, à partir de 1956, le parti va forcer les paysans à la collectivisation. La mobilisation des masses. Le régime communiste revendique ouvertement sa nature «dictatoriale démocratique», puisqu'il s'agit, entre autres, d'extirper toute référence réactionnaire, tant de la société que des champs politique et culturel. Au départ, il ne s'agit que de simples mesures de police : surveillance des notables et des «réactionnaires», ou éradication de la prostitution. Puis la surveillance de la société par le parti devient plus massive et plus importante. Une adhésion réelle est demandée au peuple, qui aboutit assez vite à des effets pervers. La répression s'accroît sensiblement dans les périodes de difficultés économiques ou politiques, en prenant notamment la forme de «campagnes de masse» ; les cadres du parti sont souvent conduits à des excès de zèle pour se faire valoir de leurs supérieurs, qu'il s'agisse d'améliorer les niveaux de production que leur demande le parti, ou de dénoncer une part plus importante de «réactionnaires» que celle fixée par le Bureau politique. Ces excès conduisent à des campagnes de rectification internes au parti, soit contre les «tendances réactionnaires» et les «bourgeois», soit contre l'«impétuosité» de certains cadres et les «gauchistes» — ces campagnes font elles aussi de nombreuses victimes innocentes si l'on en juge par le nombre de personnes réhabilitées à partir de 1978. Renforcer le contrôle du parti par des campagnes de masse est ainsi un objectif prioritaire. Les contre-révolutionnaires, «chefs de bandits, despotes locaux et agents secrets», selon une directive de Mao pour le Comité central de 1951, sont pour certains d'entre eux exécutés, en général immédiatement après le jugement ; d'autres sont envoyés en camp de rééducation ou de réforme par le travail ; d'autres enfin sont incarcérés. Durant l'hiver 1951-1952, la campagne dite des Trois Anti (sanfan) vise à extirper le gaspillage, la corruption et la bureaucratie du personnel des organismes et entreprises d'État, qui sont souvent des fonctionnaires hérités de l'ancien régime. Suit la campagne des Cinq Anti (wufan), déclenchée au début de 1952 contre les «cinq vices» des industriels et des commerçants : pots-de-vin, fraude fiscale, détournement des biens de l'État, escroquerie dans l'exécution des contrats passés avec l'État et vol des informations économiques. Les directives que donne Mao précisent les différents cas : «Dans le mouvement des Cinq Anti, les principes fondamentaux à observer pour traiter les cas des entreprises industrielles et commerciales sont les suivants : clémence pour les infractions anciennes, sévérité pour les infractions récentes ; clémence pour la majorité, sévérité pour la minorité ; clémence pour qui avoue, sévérité pour le récalcitrant ; indulgence pour l'industrie, sévérité pour le commerce ; indulgence pour le commerce normal, sévérité pour le commerce spéculatif» (Sur les luttes sanfan et wufan, 1952). C'est à partir d'un tel canevas que les responsables locaux du parti doivent déterminer la «ligne juste», afin de «frapper avec sûreté, précision et sévérité» (Mao).
 
    Le parti tente très tôt de contrôler les intellectuels, tels que Hu Feng, un écrivain connu qui estime que la Chine est près d'aboutir à une «uniformité de l'opinion publique» ; il dénonce l'idéologie communiste et l'imposition, par le parti, des thèmes que les intellectuels sont autorisés à traiter. Hu Feng est arrêté en 1955 — il sera réhabilité en 1978. Dans le même temps, le parti se renforce pour atteindre 6?3 millions d'adhérents en 1953 et 9?3 millions en 1956, dont 14 % d'ouvriers.
 
    La loi sur le mariage (30 avril 1950), qui s'attaque à un aspect fondamental de la morale confucéenne, abolit le «système matrimonial féodal» : les droits de la femme sont désormais égaux à ceux du mari ; les mariages arrangés, le concubinage, la polygamie et les fiançailles d'enfants sont interdits ; les veuves sont autorisées à se remarier ; le divorce est permis et les enfants naturels ont les mêmes droits que les enfants légitimes.
 
 
    De la mésentente avec l'Union soviétique à la rupture Le 31 juillet 1955, Mao lance «un mouvement socialiste de masse dans les campagnes» : il s'agit de mettre en place la «coopération agricole» (Sur le problème de la coopération agricole, 1955). Ce mouvement, qui rencontre peu de résistances semble-t-il, est un échec — les récoltes sont médiocres — et cesse dès l'été 1956. Entre-temps, le XXe congrès du parti communiste d'Union soviétique (PCUS), au cours duquel est dénoncé le culte de la personnalité et la politique de Staline, ainsi que la crise de 1956 en Europe de l'Est conduisent Pékin à prendre ses premières distances d'avec Moscou.
 
    Un discours de Mao du 25 avril 1956, intitulé Sur les dix grands rapports, rend compte de ces premières dissensions idéologiques. Alors que «les erreurs apparues au cours de l'édification socialiste de l'Union soviétique […] ont été mises au jour récemment», Mao invite les Chinois à ne plus tant «négliger la production des moyens d'existence, en particulier des céréales» — le «rapport» entre l'industrie lourde d'une part, l'industrie légère et l'agriculture d'autre part, était alors trop favorable à la première. Dans le même texte d'orientation, Mao invite à reconsidérer neuf autres «rapports», dont celui entre les régions côtières et celles de l'intérieur, les autorités centrales et les administrations locales, entre les Han et les minorités nationales, et entre la Chine et le reste du monde. Dans les années suivantes, la question de la fourniture à la Chine d'un armement nucléaire — ce que finiront par refuser les Soviétiques — contribue à tendre davantage les rapports entre les deux voisins. L'amitié entre les deux pays ne se dément pourtant pas tout de suite — Mao effectue encore un voyage à Moscou en 1957 —, et l'aide soviétique ne cesse qu'en juillet 1960.
 
    La Chine vient de connaître une période de développement remarquable, puisque le taux de croissance de la production industrielle atteint 18 % par an entre 1953 et 1957. L'industrie lourde s'est considérablement développée : doublement de la production de charbon (130 millions de tonnes en 1957) et quadruplement de celle d'acier (5?3 millions de tonnes).
 
    Notons qu'en 2002, cette période est encore considérée par les dirigeants chinois comme positive dans l'expérience du communisme chinois, ce qui n'est pas le cas de la longue période qui s'ouvre en 1957 pour se terminer par la mort de Mao en 1976.
    Les Cent Fleurs (1956-1957) Chronologie (1956)
 
    Le mouvement des Cent Fleurs, qui débute en 1956, semble au départ correspondre à une libéralisation de la vie politique et intellectuelle : «Que cent fleurs s'épanouissent, que cent écoles rivalisent?!» En réalité, et à la suite des difficultés économiques, la politique de Mao est remise en cause lors du VIIIe congrès du PCC, qui se tient du 15 au 27 septembre 1956. Liu Shaoqi présente le rapport politique, qui est un désaveu modéré de la ligne de Mao et un plaidoyer pour un retour à une construction «pas à pas» du socialisme. Mao répond en transformant les Cent Fleurs en campagne de rectification : les masses sont invitées à critiquer le parti, afin que celui-ci se corrige. Le 27 février 1957, Mao prononce l'un de ses discours les plus célèbres : De la juste solution des contradictions au sein du peuple. Dans cette définition de la ligne «correcte», chacun semble encouragé à exprimer ses doléances afin de démasquer les ennemis du peuple qui évoluent encore au sein de la société socialiste, mais Mao, après avoir constaté à quel point les critiques se déchaînent contre le parti, dirige la campagne contre les «droitiers bourgeois» accusés en juin par le Quotidien du peuple de vouloir nuire à la construction de la Chine socialiste. Quelque 400?000 personnes sont alors envoyées en camp de rééducation par le travail, et 300?000 cadres du parti sont éliminés, dont une bonne partie sont envoyés à la campagne — politique qui connaît à partir de ce moment un développement parfois considérable.
 
 
    Le Grand Bond en avant (1958-1960) Chronologie (1958)
 
    Le «Grand Bond en avant», mené au nom de l'idéologie de 1958 à 1960, constitue une rupture nette avec le modèle soviétique. Mao lance un gigantesque mouvement volontariste visant à abolir les «contradictions au sein du peuple», c?est-à-dire les oppositions fondamentales entre les villes et les campagnes, l'industrie et l'agriculture, les intellectuels et les travailleurs manuels… Le pouvoir compte sur une industrialisation des campagnes ; il s'agit de «livrer un combat contre la nature», selon ses propres termes. Le but proclamé est de «rattraper la Grande-Bretagne en trois ans et les États-Unis en quinze ans», avec des objectifs de production souvent exagérés, par exemple 10?7 millions de tonnes pour l'acier, soit un doublement en quelques mois de la production. Sur le plan idéologique, les dirigeants chinois font preuve de triomphalisme : pour eux, l'épicentre des révolutions s'est déplacé vers l'est — ce dernier élément sera au centre de la rhétorique maoïste jusque dans les années 1970.
 
 
    Les paysans sont pour leur quasi-totalité intégrés dans des coopératives socialistes de «type supérieur», les communes populaires rurales, qui sont créées en 1958 et qui sont censées fonctionner selon des principes socialistes. Outre leur travail en brigade, ils doivent participer à des grands travaux collectifs, notamment d'irrigation. Le processus de collectivisation s'accélère : suppression des lopins et du bétail privés, multiplication des équipements collectifs (crèches, cantines). Le pouvoir cherche à briser la cellule familiale — foyer de résistance passive — tout en entraînant les femmes à se consacrer aux activités productives. La généralisation des petits hauts fourneaux inaugure l'industrialisation des campagnes, mais l'acier qu'ils produisent s'avère souvent inutilisable. Le contrôle du parti est renforcé ; les cadres et les étudiants sont astreints au travail manuel, les cadres sont épurés, y compris aux plus hauts échelons locaux, surtout lorsque les directives émanant du «centre» ne sont pas assez bien respectées. Pour la seule année 1958, on estime qu'environ un million de cadres sont expulsés du parti, que quelque 30?000 personnes sont envoyées en camp de travail, tandis que des centaines de milliers de personnes sont déplacées pour mener à bien divers chantiers. La victime politique la plus notable du Grand Bond en avant est le maréchal Peng Dehuai.
 
 
    Les résultats s'avèrent catastrophiques, en particulier pour l'agriculture ; la famine, qui sévit notamment en 1959 (sécheresse), en 1960 (inondations dans certains secteurs, sécheresse ailleurs) et jusqu'en 1961, cause entre 15 et 30 millions de morts. Mao choisit de faire son autocritique, et, en 1959, il doit abandonner la présidence de la République à Liu Shaoqi — lequel estime que l'échec du Grand Bond en avant est dû à 70 % à des erreurs humaines — le Grand Bond en avant ne cesse pourtant qu'en 1962. À partir de 1959, les dirigeants s'emploient plutôt à contrôler la remise en ordre du système productif, sans contredire les errements des mois précédents ; les objectifs fixés restent quasi irréalisables, mais sont revus à la baisse à partir de 1959. Surtout, l'industrie lourde sort encore renforcée de ces années — même s'il est difficile de croire les statistiques, que les cadres ont intérêt à truquer —, au détriment de l'agriculture et des paysans chinois. Les dirigeants du parti ordonnent donc une retraite politique, pour revenir à des conceptions plus traditionnelles. Deng Xiaoping s'écrie, en juillet 1962 : «Peu importe qu'un chat soit blanc ou noir pourvu qu'il attrape les souris.» Mao contre-attaque en lançant, à l'automne de 1962, le «mouvement d'éducation socialiste».
    Le Mouvement d'éducation socialiste (1962-1965) Il s'agit cette fois d'en finir avec les pratiques capitalistes et d'épurer le parti de ses éléments «droitiers», et notamment ses cadres locaux, pour leur manque de rigueur dans le travail : fraudes, comptabilité truquée, détournement des biens de l'État… C'est aussi à cette époque qu'apparaissent les Citations du président Mao, plus connues sous le nom de Petit Livre rouge, qui va devenir l'emblème de la Révolution culturelle — l'ouvrage sera tiré à un milliard d'exemplaires, traduit dans de très nombreuses langues et diffusé dans le monde entier. Dans les années qui suivent le Grand Bond en avant, la déroute de l'agriculture entraîne des conséquences négatives dans tous les secteurs, et l'économie met plusieurs années pour retrouver ses niveaux d'avant 1958. La taille des communes populaires, inadaptées à leur fonction de production, est réduite : elles ne comptent plus en moyenne que de 6?000 à 15?000 personnes, contre jusqu'à plus de 100?000 lors de leur fondation. Le commerce de la Chine s'ouvre sur le monde et double presque entre 1962 et 1966, pour atteindre quelque 4 milliards de dollars.
 
 
    La Révolution culturelle
 
    La période qui suit, de 1965 jusqu'en 1971, connue sous le nom de Grande Révolution culturelle prolétarienne, marque les bouleversements les plus profonds survenus en Chine depuis 1949. Il s'agit pour Mao et ses partisans d'écarter les «responsables qui, bien que du Parti, se sont engagés dans la voie capitaliste», par un processus inédit dans l'histoire du socialisme. Après les mois de campagne «antirévisionniste», le mot d'ordre de Mao «Feu sur le quartier général?!» jette les jeunes à l'assaut des cadres en juillet 1966. Des universités, la contestation gagne les entreprises et déclenche une lutte armée entre diverses factions. L'économie est désorganisée durant toute cette période. Une fois l'aile droite du parti écartée — à commencer par Peng Zhen, le maire de Pékin, puis Liu Shaoqi et Deng Xiaoping, écartés dès 1966 —, l'armée se livre, en 1968, à une remise en ordre, en envoyant les étudiants à la campagne et les ouvriers à l'usine. Mao reconstruit le parti autour d'une alliance «paysans-ouvriers-soldats». Il s'appuie alors sur le maréchal Lin Biao, que la propagande présente comme son successeur. Cependant, alors que Lin cherche à renforcer davantage encore le pouvoir de l'armée, il se heurte à Mao et à son groupe, qui décident de reprendre en main le pays. En 1971, la Chine annonce la mort de Lin dans un accident d'avion, alors qu'il tentait, selon les sources officielles, de gagner l'Union soviétique à la suite d'un coup d'État manqué.
 
    Le «Groupe central de la Révolution culturelle», mené par Jiang Qing, Chen Boda (le secrétaire de Mao), Zhang Chunqiao et Yao Wenyuan, et avec l'appui du Grand Timonier, présente la «pensée Mao-Zedong» comme l'«arme idéologique des masses». L'intervention modératrice de Zhou Enlai ne peut empêcher que de nombreux monuments et bibliothèques soient saccagés. La Révolution culturelle apparaît à la fois comme une manœuvre tactique de Mao pour renforcer son pouvoir et comme une tentative d'éliminer définitivement les tendances bureaucratiques en mettant «la politique aux postes de commande».
    Les dernières années Mao (1971-1976) La disparition de Lin Biao marque la reprise en main de l'État par un courant plus modéré, incarné par Zhou Enlai, qui lance en 1973 un mouvement de critique de Lin Biao, qui vise en réalité la gauche du parti, réunie autour de Jiang Qing. Celle-ci réplique en transformant la campagne en critique de Confucius ; le «pilin pikong» («critiquer Lin, critiquer Kong», nom chinois de Confucius) détourne la colère contre les «droitiers» comme Liu Shaoqi, cherchant ainsi à atteindre Zhou lui-même, mais la manœuvre échoue puis s'apaise dès 1974. Le gouvernement est alors réorganisé, et de nombreuses universités sont rouvertes. Certains cadres, qui avaient été victimes de la Révolution culturelle, sont réhabilités — le plus célèbre est Deng Xiaoping. Cependant, la Révolution culturelle n'est à ce moment toujours pas officiellement close, et les dernières années de Mao sont marquées par cette lutte de tendance au sommet, lutte d'autant plus âpre que la santé de Mao comme celle de Zhou sont très précaires.
 
    En 1975, la IVe Assemblée nationale populaire adopte une nouvelle Constitution, qui reconnaît le droit de grève et celui d'afficher des dazibao («journaux en grands caractères»). La gauche place Wang Hongwen au troisième rang de la hiérarchie du PCC. Wang, dont la ressemblance physique avec Mao jeune est frappante, mène aussitôt une attaque contre la politique de Zhou Enlai, qui engage la Chine sur la voie des «Quatre Modernisations» — de l'industrie, de l'agriculture, des sciences et de la défense. Selon Wang et la gauche, c'est la voie ouverte à une restauration du capitalisme. Zhou, déjà contraint à une semi-retraite dès 1974, laisse Deng Xiaoping prendre la défense de cette politique ; enfin, il meurt le 8 janvier 1976. Début février, sur l'injonction de Mao, Hua Guofeng devient Premier ministre ; son atout est d'incarner une ligne moyenne entre Deng et Jiang Qing. Deng est cependant rapidement éliminé par le groupe de gauche, tandis que de nombreux Chinois manifestent leur volonté de mettre en œuvre les Quatre Modernisations en défilant place Tian An Men, devant le monument aux héros du peuple. Le 5 avril, les manifestants sont dispersés par la force. Durant l'été, l'un des tremblements de terre les plus dévastateurs de l'histoire de la Chine fait quelque 600?000 morts dans la région de Tianjin — certains veulent y voir un signe annonciateur de la fin d'un règne, en cela conforme à la tradition de l'histoire chinoise. Le 9 septembre 1976, Mao meurt.
 
 
    La politique extérieure de 1949 à 1976 Dès la prise du pouvoir, les dirigeants communistes chinois se lancent dans une politique étrangère très active, dont les principaux volets sont constitués par leurs relations avec l'Union soviétique, qui se dégradent rapidement, celles avec les États-Unis, qui se réchauffent peu à peu jusqu'à la normalisation, et enfin celles avec le «second monde» et le tiers-monde. Aux yeux des dirigeants chinois, le tiers-monde représente l'opportunité de faire connaître et apprécier leur modèle révolutionnaire, et de se forger ainsi des alliés, voire des amis, dans la lutte d'«encerclement des villes par les campagnes», c?est-à-dire dans le combat qui oppose les pays riches, industrialisés et développés aux pays pauvres du tiers-monde sous-développé. Cette diplomatie révolutionnaire atteint son point culminant lors de la Révolution culturelle, lorsque les ambassades de certains pays étrangers à Pékin (Grande-Bretagne, Kenya) sont attaquées par les gardes rouges. Cependant, durant toute l'ère maoïste, la diplomatie chinoise sait aussi prendre en compte les intérêts de l'État avant ceux de la «révolution mondiale». Il en résulte des manœuvres parfois si complexes qu'elles déroutent amis et adversaires. Quoi qu'il en soit, la Chine est reconnue par l'ensemble du monde comme un partenaire responsable : en 1964, la France reconnaît la Chine, qui, le 25 octobre 1971, entre aux Nations unies et à son Conseil de sécurité, dont elle devient aussitôt l'un des cinq membres permanents.
 
 
    Les relations sino-soviétiques : de l'«amitié indestructible» à l'hostilité Dès l'hiver 1950, Mao Zedong et Zhou Enlai négocient avec Moscou un traité d'amitié, d'alliance et d'assistance mutuelle conclu le 14 février 1950 pour trente ans. L'aide financière soviétique, on l'a vu plus haut, reste cependant modeste, défaillance que ne manqueront pas d'exploiter plus tard les dirigeants chinois lorsque leur querelle avec l'Union soviétique sera devenue publique. Dans un premier temps, cependant, le camp communiste semble solide, comme le prouvent les événements de Corée. Dès le 20 juin 1950, la Chine populaire se trouve en effet face à un conflit d'ampleur internationale aux portes de ses frontières. Les Chinois envoient un contingent de volontaires, placé sous les ordres de Peng Dehuai et équipé de matériel soviétique, qui remporte des succès notables face aux troupes américaines à partir d'octobre 1950 — l'intervention chinoise entraîne le retrait vers le sud des Américains et de leurs alliés Coréens, et la stabilisation du front autour du 38e parallèle. Lorsque la Chine signe le cessez-le-feu, le 27 juillet 1953, à Panmunjon avec les États-Unis, elle peut enregistrer une première victoire diplomatique d'importance avec l'installation d'un régime de caractère socialiste à sa frontière nord-est.
 
    La mort de Staline, en 1953, facilite d?abord les relations sino-soviétiques : alors que Staline considérait les Chinois comme des partenaires de niveau inférieur, Khrouchtchev — qui se rend en Chine en 1954 et y fera plusieurs voyages — et la nouvelle direction soviétique ont tendance à donner à la Chine une place plus en rapport avec sa puissance démographique. L'aide soviétique est financièrement plus importante qu'au début des années 1950, et elle inclut un volet dans le domaine de la recherche scientifique, avec la fourniture par Moscou d'un réacteur nucléaire expérimental. On peut estimer que l'aide soviétique dépasse les 2 milliards de dollars entre 1950 et 1957. Cependant, le choc du XXe congrès du PCUS en 1956 et la crise hongroise conduisent les dirigeants soviétiques à s'assurer qu'ils dominent effectivement l'ensemble des pays socialistes, politique qui déplaît de plus en plus aux Chinois, qui, en outre, voient dans Khrouchtchev un «révisionniste», et, lors de la crise des missiles de Cuba, en 1962, un «capitulationniste». En novembre 1957, Mao reconnaît encore que la révolution chinoise s'appuie sur «la riche expérience du parti communiste et du peuple de l'Union soviétique», mais en 1959, alors que l'Union soviétique s'engage dans la politique de coexistence pacifique, les dirigeants chinois se convainquent qu'ils n'ont plus rien à attendre de Moscou. L'aide soviétique cesse en juillet 1960 — jusqu'en 1965, la Chine poursuit et même anticipe le remboursement des prêts consentis par l'Union soviétique. En 1964, avec l'explosion de la première bombe nucléaire chinoise, puis avec le déclenchement de la Révolution culturelle, la tension monte encore entre les deux pays, qui prétendent chacun au leadership sur le monde communiste. En 1969, lors d'une conférence mondiale des partis communistes tenue à Moscou, les Soviétiques parviennent à marginaliser les Chinois. La même année, des accrochages armés ont lieu sur le fleuve Oussouri, à la frontière. La propagande antisoviétique n'a jamais été aussi virulente, ce qui annonce le rapprochement vers l'ouest.
 
 
    Les relations sino-américaines et sino-japonaises En l'opposant aux États-Unis, la guerre de Corée (1950-1953) redonne à la Chine un rôle de premier plan, ainsi qu'on l'a vu. Mais cette guerre lui fait perdre toute perspective de s'intégrer dans l'ordre international mondial dans un délai raisonnable en lui aliénant les États-Unis. De plus, la chute de la Corée du Nord dans le «bloc socialiste» contribue à alimenter la «théorie des dominos» des stratèges militaires américains — selon lesquels les pays du tiers-monde tombent un à un, comme des dominos, dans le camp socialiste. Les États-Unis cherchent dès lors à contenir l'expansion soviétique et chinoise par leur politique dite de containment, avec notamment le traité nippo-américain de septembre 1951, que la Chine considère comme une manifestation d'hostilité.
 
    Dans un texte célèbre de 1956, L'impérialisme américain est un tigre en papier, Mao mène une attaque sans concession contre les États-Unis. En 1958, la tension monte avec le bombardement, par Pékin, des îles de Jinmen (Quemoy) et Mazu (Matsu), au large de Taiwan ; aussitôt la VIIe flotte américaine s'interpose dans le détroit de Formose. Des éléments nouveaux vont cependant peu à peu entraîner le rapprochement entre les deux adversaires. En 1959, le secrétaire d'État américain, C?H? Herter, propose de faciliter les échanges de journalistes entre la Chine et les États-Unis. Mais les Chinois posent une condition préalable : le retrait des Américains de Taiwan. Cette question reste désormais au cœur de la politique étrangère chinoise vis-à-vis de Washington, et si elle empêche toute normalisation, elle permet cependant de maintenir ouvertes les discussions entre les deux pays. Lorsque la tension avec l'Union soviétique atteint des sommets, à partir de 1968, le rapprochement avec les États-Unis semble une voie possible. En 1970, Mao déclare au journaliste américain Edgar Snow, auteur d'un important ouvrage, Étoile rouge sur la Chine, qu'il accueillerait volontiers le président américain, Richard Nixon. Dès l'année suivante, Henry Kissinger, le secrétaire d'État américain, se rend en Chine, puis c'est au tour de Nixon lui-même, à partir du 21 février 1972. Le 28 février 1972, le communiqué de Shanghai montre l'avancée spectaculaire de la détente entre les deux pays. Les États-Unis reconnaissent notamment que «tous les Chinois soutiennent que Taiwan est une partie de la Chine».
 
    Avec le Japon, le dégel commence en 1954, avec une première mission de la Croix-Rouge chinoise au Japon. En 1957, la quasi-totalité des prisonniers de guerre japonais sont rapatriés - mais la Chine conserve une cinquantaine de criminels de guerre. Cependant, le Japon refusant de reconnaître le régime de Pékin, l'année 1958 marque une rupture dans le rapprochement sino-japonais. Le processus de normalisation ne s'engage qu'au début des années 1970, par le biais de divers accords commerciaux, et se conclut par un traité de paix et d'amitié signé le 12 août 1978 par Deng Xiaoping.
 
 
    La Chine et le tiers-monde L'activité diplomatique de la Chine envers le tiers-monde se révèle originale, au point d'ailleurs d'être souvent confuse et délicate à interpréter. La diplomatie chinoise tente en effet de mêler idéologie et réalisme. Tandis que les «perspectives révolutionnaires mondiales» que pensent déceler les communistes chinois durant les années 1950-1960 les conduisent à favoriser les mouvements révolutionnaires, leur pragmatisme en tant que dirigeants d'un État les amènent à mener une politique d'amitié avec certains gouvernements qui n'appartiennent pas au camp socialiste, y compris, dans les années 1970, avec le Chili de Pinochet ou l'Argentine des généraux. La diplomatie chinoise est ainsi souvent contrainte à des volte-face spectaculaires, et si elle enregistre certains succès magistraux, elle subit tout autant de défaites importantes. Il faut ajouter à ce tableau d'ensemble le fait que, durant la Révolution culturelle, et plus particulièrement de 1965 à 1969, le modérateur qu'est Zhou Enlai doit compter avec les gardes rouges et corriger leurs «excès» au risque de passer lui-même pour un réactionnaire, ce qui se traduit par des incohérences de la diplomatie chinoise. Des traités d'amitié sont signés avec nombre de pays stratégiquement importants (Népal, Afghanistan, Cambodge), et avec des pays d'Afrique.
 
    Indochine et Viêt-nam. En Indochine, les Chinois jouent un rôle important lors de la guerre d'Indochine en aidant matériellement le Viêt-minh, mais aussi en infusant les principes de la guerre de guérilla tels que Mao les avait théorisés durant les années 1930 et 1940 ; la politique chinoise est ainsi l'une des causes directes de la défaite française en Indochine. La Chine obtient en outre un important succès diplomatique en étant représentée par Zhou Enlai, lors de la conférence de Genève en 1954.
 
    L'activité de la diplomatie chinoise dans la région reprend de plus belle en 1964, lorsque Pékin se montre soucieux d'aider les communistes vietnamiens à repousser «l'agression américaine». Cependant, les Vietnamiens comptant plus sur l'Union soviétique, la Chine reste en retrait durant le conflit avec les États-Unis. Alors que les Chinois critiquent toujours davantage l'Union soviétique, la complexité de leur diplomatie est mise en évidence au Viêt-nam, où ils ne sont pas des alliés du camp socialiste dans sa lutte contre «l'impérialisme américain» — Pékin envoie cependant des troupes non combattantes. Logiquement, c'est sans enthousiasme que la Chine accueille la nouvelle de la victoire des communistes vietnamiens en avril 1975.
 
    L'Inde et le Pakistan. Les relations avec l'Inde constituent l'un des principaux volets de la diplomatie chinoise. Elles s'inscrivent d?abord dans un esprit de coopération, illustré par l'accord sur le Tibet par lequel les deux pays déclarent respecter les principes fondamentaux de la coexistence pacifique : respect mutuel de la souveraineté, non-agression, coexistence pacifique, non-ingérence dans les affaires intérieures, égalité et bénéfice mutuel. Nehru œuvre afin que la Chine trouve sa place dans le mouvement des non-alignés : elle participe alors à une conférence des pays d'Afrique et d'Asie tenue à Bandung en 1955, au cours de laquelle la politique «colonialiste» de l'Union soviétique et du camp socialiste auquel la Chine appartient pourtant ne sont pas épargnées — mais Zhou Enlai est passé maître dans l'art des subtilités diplomatiques. Cependant, des désaccords sur le tracé de la frontière himalayenne conduisent à des affrontement armés en septembre-octobre 1962, dans l'Aksai Chin, qui se soldent par une nette victoire des Chinois, qui cessent unilatéralement les combats. En 1963, la Chine signe un important accord avec le Pakistan à propos du Cachemire : les deux pays reconnaissent provisoirement — en attendant le règlement du problème indo-pakistanais —leurs zones de souveraineté respectives. Cet accord avec un allié des États-Unis constitue un premier pas vers les États-Unis. En effet, alors que l'Inde d'Indira Gandhi se rapproche davantage encore de l'Union soviétique, la Chine trouve dans le Pakistan un allié propre à contrecarrer les visées expansionnistes supposées de l'Union soviétique et de l'Inde : à la création, en Asie, d'un axe nord-sud, la Chine répond par l'instauration d'un axe est-ouest. Diplomatie peu cohérente au départ — le Pakistan est l'allié principal des États-Unis dans la région —, la politique chinoise s'avère finalement une réussite lorsque l'axe Pékin-Islamabad devient l'un des fondements du rapprochement avec Washington. En effet, à l'amitié de l'Union soviétique avec l'Inde, qui dessine en Asie un axe «nord-sud», les Chinois opposent leurs liens «est-ouest» avec le Pakistan, ce qui est conforme aux vues géopolitiques des États-Unis.
 
    Exporter la révolution. Avec des fortunes diverses, le PCC cherche à exporter la révolution maoïste, notamment en direction des régions où le paysannat est majoritaire : Amérique latine, Afrique et surtout Asie. Après avoir mené une politique d'amitié avec Israël, les Chinois se tournent vers les pays arabes, dans lesquels ils voient de meilleures potentialités révolutionnaires. Leurs espoirs sont à peu près partout déçus, à la fois parce qu'aucune révolution ne se produit, et aussi parce que les Chinois sont souvent incompris : en effet, leur diplomatie, complexe, reste liée à des questions idéologiques — il n'est par exemple pas question pour Pékin de soutenir le parti communiste algérien parce qu'il est «inféodé à Moscou». L'Albanie socialiste reste, jusqu'à la mort de Mao, un allié constant en Europe.
 
    La Chine post-maoïste (de 1976 à nos jours)
    Chronologie (1976) La mort de Mao marque la fin d'une ère politique. Un mois seulement après son décès, la fraction de gauche du PCC est éliminée. Cinq ans plus tard, Deng Xiaoping et ses partisans ont maîtrisé leurs principaux opposants et dirigent désormais la Chine, même si, en 1989, le pays connaît de graves troubles dont les répercussions à l'étranger mettent plusieurs années à s'effacer.
 
 
    La politique intérieure de 1976 à nos jours Le dernier quart de siècle est marqué, en politique intérieure, par un recul de la politique pure, au profit de l'économie : les grands choix de développement ouvrent le pays sur le monde capitaliste, non sans engendrer de graves contradictions à tous les niveaux. La prééminence du parti n'est remise en cause que par des groupes contestataires très limités, tandis que la lutte contre la corruption et contre le chômage occupent une place désormais centrale dans la politique intérieure.
 
 
    L'élimination de la «Bande des Quatre» et de Hua Guofeng (1976-1981)
 
 
    Dans la nuit du 6 au 7 octobre 1976, Hua Guofeng fait procéder à l'arrestation de Jiang Qing, Wang Hongwen, Zhang Chunqiao et Yao Wenyuan — que la presse tant nationale qu'étrangère désigne dès lors sous le nom de «Bande des Quatre» —, ainsi que de nombre de leurs partisans, parmi lesquels des parents de Mao Zedong. En 1978, la contestation qui s'exprime par voie de dazibao apposés sur le «mur de la démocratie», sur la place Tian An Men, à Pékin, laisse penser que la population est favorable aux Quatre Modernisations. Cependant, la demande d'une «cinquième modernisation», c?est-à-dire de la démocratie, par Wei Jingsheng, sur un dazibao affiché le 5 décembre, et les troubles qui s'ensuivent entraînent le pouvoir à la répression dans le courant de 1979 — Wei Jingsheng est condamné à quinze ans de prison en octobre. Tandis que les dirigeants se lancent dans un processus de critique des erreurs commises à partir de 1957, Deng fait supprimer le droit, accordé par la Constitution de 1977, d'afficher des dazibao. Puis Hua est évincé du pouvoir par celui qui apparaît, tout au long des années 1980, comme le principal dirigeant chinois, Deng Xiaoping, que l'on surnomme le «Petit Timonier» — par référence à Mao, le «Grand Timonier», et par un jeu de mots, «xiao» signifiant «petit». Le procès de la «Bande des Quatre» se termine à la fois par la condamnation à mort avec sursis de Jiang Qing et de Zhang Chunqiao, par la défaite de Hua, obligé de se retirer, et par les premières critiques ouvertes contre la «pensée Mao Zedong». Cependant, le PCC, sans doute instruit par le précédent de la déstalinisation en Union soviétique, ne s'engage pas dans un processus de critique complète de Mao et de sa personnalité : cela risquerait en effet de déstabiliser définitivement le parti. Les critiques se contentent de reconnaître quelques erreurs de Mao à côté de ses contributions positives, qui restent officiellement la part déterminante de son apport à la Chine contemporaine.
 
 
    La politique d'ouverture (1981-1987) Le mouvement des Quatre Modernisations — déjà tentées par Zhou Enlai en 1964 —définissait deux nouvelles orientations : la création de pôles de développement et l'ouverture aux investisseurs étrangers. La libéralisation des prix est peu à peu engagée à partir de décembre 1978. Quatre zones économiques spéciales (les «ZES» de Shenzhen, Xiamen, Shekou et Zhuhai) sont créées en mai 1980 avec la volonté d'attirer les investissements étrangers. Le XIIe congrès du PCC, du 1er au 11 septembre 1982, adopte le principe «la planification économique comme guide essentiel et la régulation par le marché comme complément», et met l'accent sur la nécessité de tendre à la satisfaction des besoins matériels et culturels du peuple. La sélection est réintroduite dans le système éducatif ; les intellectuels sont réhabilités ; de nouvelles lois régissent le régime fiscal des résidents étrangers et les contrats commerciaux, et les activités privées sont autorisées ; la petite entreprise et les marchés libres sont encouragés.
 
    Le monopole du parti n'est en aucun cas remis en cause. Malgré l'opposition des conservateurs, les réformes se poursuivent après la nomination de Hu Yaobang au poste de secrétaire général du PCC. Les entreprises publiques deviennent responsables de leur financement et de leur chiffre d'affaires (ce qui suscite, notamment, la diffusion du crédit). Dans le même temps, le parti poursuit la politique autoritaire qui a été la sienne depuis 1949, et lance, en 1983, une campagne contre la criminalité et contre la «pollution spirituelle» venue de l'Occident ; il relance une politique nataliste très dirigiste en prenant diverses mesures contre les couples qui ont plus de un enfant. En avril 1984, quatorze villes côtières sont ouvertes aux investissements étrangers, ainsi que deux zones «triangulaires», tandis qu'un accord avec la Grande-Bretagne est signé sur la rétrocession de Hong Kong à la Chine. Le 1er janvier 1985, le système du monopole de l'État pour l'achat et la vente des principaux produits agricoles est aboli ; les prix ne sont plus garantis, mais les difficultés conduisent à revenir sur cette dernière décision à la fin de 1985, et le contrôle des prix est rétabli pour de nombreuses denrées, avant d'être à nouveau supprimé en 1988. Le principe directeur de la politique économique devient, en 1987 : «L'État contrôle le marché, et le marché guide les entreprises» (XIIIe Comité central du PCC).
 
 
    La démocratisation en suspens (1987-1991)
    Chronologie (1989) Hu Yaobang est éliminé en janvier 1987 ; sa chute s'explique par le manque de vigueur dans sa politique de répression des modérés, que lui reprochent une majorité de dirigeants du PCC, et entraîne un ralentissement du rythme des réformes économiques. Les obsèques qui suivent son décès, en avril 1989, déclenchent le «Printemps de Pékin», mouvement de protestation en faveur de la démocratie, marqué par l'occupation de la place Tian An Men à partir du 17 avril. La visite officielle de Mikhaïl Gorbatchev en Chine, du 15 au 18 mai, empêche les dirigeants chinois d'agir avant son départ. Le 20 mai, la loi martiale est proclamée, et la répression par la force, du 3 au 5 juin 1989, fait de nombreuses victimes et ternit pour quelques années l'image de la Chine à l'étranger. Deng Xiaoping doit alors tenir compte d'une réaction des secteurs du PCC qui restent attachés au marxisme-léninisme  — ceux que l'on appelle désormais les «conservateurs». Zhao Ziyang est évincé du secrétariat général du parti, et remplacé par un élément proche de Deng mais plus conservateur, Jiang Zemin, tandis que Li Peng, qui est considéré comme un conservateur et tenu à l'étranger pour l'un des principaux responsables de la répression des manifestants de Tian An Men, devient Premier ministre. Les réformes marquent durant deux ans un ralentissement, et l'accent est mis à partir de la seconde moitié de 1989 sur le développement du monde agricole et la limitation des augmentations de salaires. En avril 1990 est ouverte la zone économique spéciale de Pudong, à Shanghai. Les événements qui conduisent à la dissolution de l'Union soviétique, en 1991, imposent aux dirigeants chinois de faire preuve de modération, afin d'éviter une déroute du système communiste.
 
 
    L'«économie de marché socialiste» (depuis 1991) En 1990-1992, Deng relance la lutte sur le terrain politique en se faisant l'avocat de nouvelles réformes, et s'entoure des hommes qui vont pouvoir les mettre en œuvre. L'État, s'appuyant sur une classe de consommateurs, essentiellement urbains, qui atteint cinquante voire cent millions de personnes, veut lancer la Chine sur la voie de l'«économie de marché socialiste» — la notion est introduite en 1993 dans la Constitution —, tout en conservant une structure étatique rigide et centralisée. L'accent est mis d'autre part sur la croissance économique, qui atteint durant les années 1990 des niveaux records, avec cependant des pressions inflationnistes importantes, qui imposent un ralentissement de l'économie en 1993-1994, ainsi qu'une réforme fiscale et monétaire radicale. Le taux d'imposition des entreprises est fixé à 33 % des bénéfices, alors qu'il était de 55 % pour les entreprises d'État. Le 1er  janvier 1994, le taux de change du yuan servant aux échanges intérieurs (5?7 yuans pour un dollar) est aligné sur le taux de change du yuan destiné aux échanges extérieurs (8?7 yuans pour un dollar, soit une dévaluation d'environ un tiers). Les investissements étrangers sont favorisés dans l'intérieur du pays, et plus seulement dans les régions côtières ; un plan directeur définit les secteurs prioritaires : agriculture, énergie, matières premières, communications, technologies de pointe. En 1996, Jiang Zemin annonce également que les zones économiques spéciales doivent compter de plus en plus sur les investissements étrangers, et moins sur l'aide de l'État. Le strict contrôle des capitaux permet à la Chine d'échapper très largement à la crise financière qui frappe l'Asie en 1997-1998. Le 1er juillet 1997, Hong Kong redevient chinoise ; le 20 décembre 1999, c'est au tour de Macao.
 
    Après le décès de Deng Xiaoping, en février 1997, Jiang Zemin s'impose comme le principal dirigeant chinois. La classe au pouvoir est désormais de la génération qui suit celle des vétérans de la Longue Marche, et les conditions sont réunies pour qu'elle appréhende différemment la confrontation de la tradition communiste chinoise et de la modernité. Symbole du changement amorcé, Jiang Zemin, qui domine désormais la scène politique, se prononce, lors du XVe congrès du PCC, pour la mise en place d'un système d'actionnariat privé dans les entreprises d'État. Le 5 mars 1998, le Premier ministre Li Peng annonce une restructuration de l'administration accompagnée de licenciements massifs. Cette décision est suivie, quelques jours plus tard, d'élections, au terme desquelles Zhu Rongji est nommé Premier ministre par l'Assemblée nationale populaire.
 
    Il doit faire face à plusieurs problèmes majeurs. La corruption frappe l'ensemble du système jusqu'aux plus hauts échelons ; en 2000, un vice-gouverneur de province et un vice-président de l'Assemblée nationale populaire ont été condamnés à mort pour corruption et exécutés ; en 2002, des scandales impliquant le fils de Li Peng, Li Xiaopeng, et sa femme, Zhu Lin, laissent entrevoir des affrontements entre factions au sommet de l'appareil. La lutte contre la criminalité devient elle aussi une priorité, qu'il s'agisse la renaissance des mafias chinoises ou de la délinquance à l'ampleur parfois spectaculaire. Ainsi, en 1998, les autorités ont enregistré neuf explosions criminelles par jour en moyenne et ont ouvert 1?350?000 enquêtes criminelles, soit 22 % de plus que l'année précédente (rapport annuel de l'Académie des sciences sociales de Chine). La lutte est également engagée contre les dissidents politiques ou syndicaux, les prêtres catholiques ou les pasteurs protestants clandestins, les écologistes, les cadres qui prennent des décisions «antiéconomiques», depuis le gaspillage pur et simple jusqu'à la priorité accordée à des investissements inadéquats… Les entreprises d'État doivent être restructurées pour devenir compétitives dans le cadre de l'économie socialiste de marché ; le système de protection sociale doit être refondu — il était jusque-là imité du modèle soviétique, dans lequel les entreprises étatiques prenaient en charge la protection sociale de leurs salariés. Les banques d'État doivent se débarrasser de leurs importantes créances insolvables. Dans le même temps, les conflits du travail sont de plus en plus nombreux : d'après le ministère du Travail chinois, il y aurait eu 120?000 conflits de cette nature en 1999, soit quatorze fois plus qu'en 1992.
 
    Les problèmes sociaux Le chômage réel est sans doute largement supérieur aux chiffres officiels (certains observateurs parlent d'un taux dix fois plus important), qui indiquent 11?5 millions de chômeurs pour 1999. Il faut en outre ajouter aux chômeurs les retraités, dont les revenus sont très faibles, et les jeunes à la recherche de leur premier emploi pour évaluer les personnes en situation difficile. Au total, cela concernerait entre 60 et 80 millions de citadins, et 180 millions de ruraux en 1999 si l'on se fonde sur les chiffres de l'Académie des sciences sociales concernant la «main-d?œuvre excédentaire».
 
    La répression a poussé certains secteurs à se tourner vers des formes de contestation inattendues, comme le qigong (sorte de gymnastique) d'inspiration bouddhiste et taoïste, avec notamment la «secte» Falungong qui compterait dans l'ensemble du pays quelque 70 millions de membres, et se serait infiltrée dans le parti, la police et l'armée. À la suite d'une importante manifestation organisée par le Falungong à Pékin le 25 avril 1999, l'organisation est interdite en juillet et des dizaines de milliers de ses membres sont arrêtés — peut-être 35?000 personnes.
 
    La Chine reste tributaire pour une bonne part des éléments naturels — les inondations de 1998 ont été si catastrophiques qu'il a fallu faire sauter certaines digues afin d'inonder des villages et des champs plutôt que de laisser les flots envahir les villes voisines. La situation du paysannat reste préoccupante. Les paysans sont contraints de rester à la campagne et ne peuvent venir s'installer en ville ; ils doivent posséder un hukou, livret de résidence permanente et obligatoire. Or, les avantages dont jouissent les citadins en matière de protection sociale sont supérieurs à ceux des paysans, d'où la tentation de la ville — le contre-exemple de nombreux pays du tiers-monde, où un paysannat appauvri vient s'entasser dans les bidonvilles des métropoles, n'est pas étranger à la politique chinoise de maintien sur place autoritaire des campagnards. Pour parvenir à ses buts, le pouvoir utilise non seulement le contrôle policier, mais également des mesures fiscales ; ainsi, dans la province de l'Anhui, le taux d'imposition est, depuis 2000, calculé en fonction de la production réelle, et non plus selon un rendement théorique — en cas de succès, cette réforme sera étendue à d'autres provinces. Enfin, une modification de la loi sur la propriété de la terre est à l'étude.
 
 
    La question du Tibet Si, à l'orée du XXIe siècle, les événements de Tian An Men sont à peu près oubliés, il n'en va pas de même de la question du Tibet. La popularité internationale du Dalaï Lama indispose Pékin, qui veut voir en lui un séparatiste, alors que le chef de la communauté bouddhiste tibétaine revendique plutôt une autonomie réelle de sa province, ainsi que le libre exercice du lamaïsme au Tibet. La question est complexe et revêt des aspects ethniques sinon racistes, la domination de Pékin étant ressentie au Tibet comme une domination de l'ethnie han — largement majoritaire en Chine, mais non au Tibet. Les États occidentaux ont pour la plupart reconnu la Chine dans ses frontières actuelles, y compris l'île revendiquée de Taiwan, et considèrent donc que le Tibet est bel et bien une province chinoise. La pression extérieure est ainsi le fait de groupes et non d'États.
 
 
    La politique extérieure de 1976 à nos jours Sur le plan diplomatique, l'ère post-maoïste est marquée par une présence moins voyante des Chinois sur le plan politique — il n'est plus question d'exporter la révolution — et une activité diplomatique à visée économique toujours renforcée. Après la normalisation des rapports avec les États-Unis et le Japon notamment, la politique mise en œuvre par les nouveaux secteurs dirigeants du pays ouvre la Chine sur le monde, même si les événements de 1989 sur la place Tian An Men suscitent un large mouvement d'hostilité à la Chine dans les pays occidentaux.
 
 
    Avec le camp socialiste En décembre 1978, la Chine doit faire face à l'opération conduite par le Viêt-nam contre le Cambodge. Opposée à l'hégémonie du Viêt-nam sur l'Indochine et à celle de l'Union soviétique, l'alliée des Vietnamiens, sur le monde socialiste, la Chine appuie les Khmers rouges. Après avoir demandé, sans succès, au Viêt-nam de se retirer du Cambodge, la Chine envoie des troupes dans le nord du Viêt-nam, au Tonkin. Les combats durent du 17 février au 5 mars 1979, sans que l'Union soviétique intervienne pour défendre son allié — le Kremlin est alors occupé à préparer son intervention en Afghanistan. La question du Cambodge n'est réglée qu'en 1989, avec le retrait des Vietnamiens.
 
 
    Lors de l'invasion de l'Afghanistan par l'Union soviétique, la Chine, pour laquelle il s'agit là d'une menace directe contre sa sécurité, se retrouve aux côtés des États-Unis pour dénoncer l'interventionnisme soviétique. Les négociations en cours entre Chinois et Soviétiques pour régler leurs contentieux en Asie sont alors suspendues, et ne reprennent qu'en 1982 ; elles aboutissent à un développement des échanges commerciaux et culturels. En 1986, Gorbatchev propose à la Chine quelques concessions territoriales, puis il fait le voyage de Pékin en avril 1989. En juillet 2001, la signature d'un traité d'amitié et de coopération entre la Chine et la Russie, le premier du genre depuis la fin de la guerre froide entre les deux puissances, marque la volonté des deux États de voir émerger un «monde multipolaire» face à l'influence américaine.
 
    Avec les autres pays socialistes, les rapports sont souvent complexes, voire conflictuels. La Chine se rapproche de la Yougoslavie de Tito en 1978, ce qui entraîne la rupture immédiate avec son allié idéologique dans la région, l'Albanie, qui dénonce la «dérive droitière» de Pékin.
 
 
    Avec les États-Unis et Taiwan Les rapports avec les États-Unis sont définitivement normalisés le 1er janvier 1979, avec l'échange de représentants officiels. Puis, en janvier-février de la même année, Deng Xiaoping effectue un important voyage aux États-Unis. L'aide américaine prend alors une tournure économique, y compris avec un accord de coopération nucléaire signé entre les deux pays en 1985. Le 7 mai 1999, au cours des interventions occidentales en Yougoslavie, l'ambassade de Chine à Belgrade est touchée par un missile américain ; pour les Chinois, il ne peut s'agir d'une erreur, les tirs ayant atteint des objectifs précis. D'importantes manifestations contre l'OTAN se déroulent aussitôt à Pékin et dans les grandes villes. Finalement, les États-Unis offrent à la Chine des réparations officielles. À la fin des années 1990, l'annonce de la maîtrise technologique de la bombe à neutrons par les scientifiques chinois et les essais de nouveaux types d'armes à longue portée, destinées, aux yeux du régime, à la préservation de l'intégrité territoriale du pays, entraînent un regain de tension avec Taiwan et les États-Unis. Sur le plan des relations économiques, la signature avec ces derniers d'un accord abaissant les droits de douane (de 22?1 % à 17 %) et facilitant l'accès des entreprises américaines à des secteurs jusqu'alors réservés (télécommunications, finance), entérine l'entrée de la Chine dans l'économie mondiale, concrétisée en 2001 par son adhésion à l'OMC
 
    À Taiwan, lors du premier semestre 2000, la victoire de Chen Shuibian, candidat du Parti démocratique progressiste (DPP), formation indépendantiste, face au candidat officiel du Guomindang lors des élections présidentielles met fin à la domination du parti nationaliste, au pouvoir dans l'île depuis la victoire communiste en Chine continentale. Cette nouvelle donne politique perturbe les relations diplomatiques entre Pékin et Taipei, d'autant que le nouveau chef de l'État taiwanais ne cache pas ses intentions de voir se constituer une «république de Taiwan souveraine et indépendante», contrairement à la formule d'«un pays, deux systèmes», proposée par le gouvernement de Zhu Rongji pour la réunification des deux Chine.
 
 
    Avec le reste du monde En juillet 1998, la signature à Alma-Ata d'un traité de démarcation met fin au contentieux qui opposait le pays au Kazakhstan, au sujet de la propriété des territoires situés aux abords de leur frontière commune. L'agitation dans les provinces chinoises comprenant de fortes minorités musulmanes est renforcée depuis l'accession à l'indépendance des États de l'ex-Union soviétique en Asie centrale, et plus encore à la suite des événements du 11 septembre 2001 et de l'invasion de l'Afghanistan ; la Chine n'occupe pas alors le devant de la scène mondiale et cherche avant tout à assurer l'ordre intérieur.
 
    Alors que les rapports avec l'Inde avaient eu tendance à revenir vers une meilleure entente au début des années 1990, les tests nucléaires de l'Inde à la fin des années 1990 ont de nouveau ravivé la tension entre les deux pays.
 
    La mise au ban des nations consécutive à la répression de Tian An Men est effacée en 2001, avec l'annonce que les Jeux olympiques de 2008 seront organisés à Pékin.
 
 
    La Chine et l'OMC La principale préoccupation, sur le plan international, des dirigeants chinois depuis la fin des années 1980 est l'entrée de leur pays sur le marché mondial. Les négociations concernant l'entrée de la Chine dans l'Organisation mondiale du commerce (OMC, créée en 1995) commencent en 1986 — à cette époque, l'OMC n'existe pas encore, et les négociations débutent avec le GATT. L'entrée officielle de la Chine dans l'OMC se produit le 11 décembre 2001, un mois après la ratification par le ministre du Commerce extérieur et de la Coopération économique, Shi Guangsheng, des documents d'adhésion, le 11 novembre, à Doha (Qatar), lors de l'assemblée des membres de l'organisation. Au terme des accords, le tarif douanier moyen appliqué par la Chine va passer de 17 % en 2001 à 9 ou 10 % en 2006. Dans certains secteurs, la baisse doit être encore plus forte, comme dans l'automobile : de 80 à 100 % en 2001 à 25 % en 2006, secteur dans lequel, en outre, seront abolis les quotas d'importation. Pour maîtriser l'entrée dans une économie de marché, la Chine a négocié des périodes de transition au cours desquelles elle pourra continuer à utiliser des instruments régulateurs comme l'achat public de marchandises, l'imposition de normes techniques, le contrôle de l'octroi des licences aux sociétés étrangères travaillant dans le pays.
 
 
    La Chine est, en 2000, le quatrième pays pour les investissements étrangers directs reçus, avec 40,7 milliard de dollars ; elle est le cinquième exportateur mondial (250 milliards de dollars en 2000). De l'entrée dans l'OMC, la Chine attend une activité économique encore accrue avec le reste du monde, notamment dans certains secteurs comme l'informatique et les technologies de pointe.
    Culture et civilisation
 
    Malgré des époques de faiblesse, la civilisation chinoise est l'une des plus durables qui soient: les grands penseurs de l'empire du Milieu sont contemporains des philosophes grecs; la puissante dynastie Han s'étend sur la période romaine; une culture brillante s'épanouit pendant les siècles d'or musulmans; le Roi-Soleil aurait pu envier l'autocratie des empereurs Qing; et aujourd?hui encore elle pèse dans l'équilibre mondial.
 
 
    Quelle identité pour la Chine? Pour les Chinois, la Chine est le «pays du Milieu» (zhongguo; zhong = milieu, guo = pays), les Chinois eux-mêmes étant les «hommes du pays du Milieu». Les étrangers, qui sont donc en marge de ce pays du Milieu, le désignent d'une autre façon. Ainsi, en Europe occidentale, le nom de Chine viendrait de celui de la dynastie Qin; en russe, Kitai, version slave du Cathay de Marco Polo, est celui du peuple qui conquit la Chine du Nord au Xe siècle, les Khitan; au Japon, la Chine prend le nom de la dynastie Tang. Pour la nommer, les étrangers ont donc adopté le terme en cours à l'époque où ils sont entrés en contact avec la Chine qui, quant à elle, se désignait par le nom de la dynastie régnante. Dans la Chine d'aujourd?hui, la première phrase du livre de lecture des écoliers, qui n'apprennent pas le chinois, mais la «langue nationale», est «J'aime la patrie», et non «J'aime la Chine».
 
 
    Être han Cependant, les Chinois, pour insister sur leur spécificité, emploient «nation han», «homme han», «langue han», du nom de la dynastie (206 av. J?-C?-220 apr. J?-C?) sous laquelle se trouvèrent réunis des ciments essentiels de la civilisation chinoise: une écriture, une doctrine et une élite, le culte des ancêtres et l'idée d'unité entre l'homme et la nature.
 
    La graphie unifiée par le premier empereur, et héritée par les Han, a peu évolué jusqu'au milieu du XXe siècle. Les communistes ont simplifié les caractères, diminuant notamment le nombre des traits et rendant ainsi leur écriture plus aisée et plus rapide. Cette écriture est indépendante de la langue parlée: si deux Chinois de dialectes différents ne se comprennent pas oralement, ils passent par l'écrit, les caractères ayant un sens précis, même si les prononciations peuvent en être différentes. L'écriture chinoise assure ainsi la cohésion dans l'espace et une continuité dans le temps inégalée dans l'histoire humaine.
 
    C'est aussi sous les Han que se forme la doctrine d'État confucianiste: on rédige un corpus regroupant des textes de philosophes du VIe siècle av. J?-C? ainsi que les chroniques de la Chine ancienne, les Cinq Classiques ou Canon confucéen.
 
    Le confucianisme, morale personnelle établie par les Han comme pensée orthodoxe, restera philosophie de l'État jusqu'à la chute de l'Empire, en 1911. C'est par l'étude des textes anciens que se forme l'élite dirigeante, les mandarins, sans que l'accès au pouvoir passe par l'appartenance à une aristocratie de naissance, ni par la fortune, même si celles-ci sont fort utiles pour obtenir les meilleurs postes.
 
    À l'époque Han commence le processus historique de sinisation de l'Asie orientale qui, au cours des siècles, étendra l'influence chinoise: apportant à leurs voisins un ensemble socioculturel très structuré – une langue écrite, une doctrine et un corps de fonctionnaires –, les Chinois verront, à leurs périodes de puissance, leur culture déborder largement des dix-neuf provinces de la Chine jusqu'au Japon, en Corée et au Viêt-nam.
 
 
    Un splendide isolement En dépit des apports venus de l'étranger à certaines époques, la Chine est restée dans l'ensemble solitaire, sans État qui se pose en rival ou en partenaire. Elle domine ses voisins par sa puissance établie, entre autres, sur sa superficie, sa richesse agricole et sa population. Ses divers voisins, les «Barbares», constituent des États éphémères et mouvants, qu'elle traite, aux époques d'hégémonie, par la guerre et la conquête; par temps de troubles, elle conclut avec eux traités et alliances matrimoniales; quand la situation est à son désavantage, tout ou partie de son territoire est envahi. Patiente, elle triomphera en sinisant les anciens conquérants, qui finiront par régner plus ou moins à la manière traditionnelle chinoise. Lorsque surgissent à ses frontières les Russes, puis les nations occidentales, au XIXe siècle, le pouvoir chinois ignore toujours l'idée d'égalité entre États souverains, et c'est par la force du canon que les «hommes venus de la mer» obtiennent la signature des traités inégaux.
 
    Cependant, la Chine, d'elle-même, refuse le chemin de l'occidentalisation. Et bien que, en 1949, elle adopte comme doctrine officielle le marxisme, né à l'Ouest, celui-ci sera bientôt coiffé par la pensée du président Mao, et l'amitié sino-soviétique ne dépassera pas huit ans: fermée sur son milliard d'hommes, la Chine se dérobe au jeu international.
 
    Vivacité de la tradition La nouvelle donne politique ne réussit guère à modifier les valeurs familiales traditionnelles, fermement enracinées dans la société chinoise. Mais, dès leur arrivée au pouvoir, les dirigeants communistes, désireux de changements radicaux, se posent le problème de la langue et de l'écriture. Il est un temps question de remplacer purement et simplement l'ancien système d'écriture par le pinyin; celui-ci, mis au point en 1950, est la transcription en alphabet latin de la langue officielle. On se contentera finalement de simplifier les mille sept cents caractères les plus courants, dont on réduit le nombre de traits. C'est ainsi que la Chine populaire utilise une graphie différente de celle en vigueur dans la diaspora chinoise. Parallèlement, la majorité des textes anciens sont voués à l'anathème, et particulièrement Confucius, soumis à une campagne de critique visant à en effacer toute trace dans l'esprit des Chinois. Alors que, pour la révolution culturelle, être intellectuel devient synonyme de contre-révolutionnaire, l'ancien corpus de textes est remplacé par un nouveau, celui du marxisme-léninisme-maoïsme. Désormais, la nouvelle élite se recrute non pas tant sur des capacités technocratiques que sur la connaissance de ce corpus, qui s'accompagne de l'acceptation de l'idéologie d'État, comme autrefois pour les mandarins, comme si une nouvelle tradition se substituait purement et simplement à l'ancienne, qu'il s'agissait pourtant de bannir.
 #

 
 #

 
 #