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ECONOMIE - INDE

La répartition de la population et des activités économiques est déterminée par une série de liaisons réciproques et de rapports avec les milieux physiques. Dans un pays où l'agriculture fournit encore près des deux tiers des emplois, il n'est pas étonnant que la productivité des systèmes agricoles soit un facteur essentiel pour expliquer les densités rurales; pour une large part, il en va de même de la localisation des villes: elles ont été, et restent, des centres de services pour la population rurale. Les systèmes de culture fondés sur le riz autorisent de très fortes densités, tout particulièrement dans les plaines humides, qui forment un grand arc depuis le littoral du Sud-Ouest jusqu'à la plaine moyenne du Gange, incluant la côte orientale et ses grands deltas. La pratique de l'irrigation a permis de corriger les effets du milieu physique et d'étendre sensiblement le domaine de la riziculture. De plus, la prospérité des agriculteurs n'est pas plus élevée dans les anciennes régions de forte productivité que dans les zones de densités moyennes, maintenant modernisées, comme le nord-ouest de la plaine du Gange et certaines parties du Sud. 
 
Deux autres grands facteurs viennent influencer la différenciation de l'espace indien. La politique coloniale, d'abord, qui a développé trois comptoirs majeurs le long des côtes (Bombay, Calcutta, Madras) et conservé un rôle politique important à Delhi. Ces villes, devenues grands centres d'industrie et de direction économique, ont influencé les vastes régions situées à leur proximité. La politique dirigiste du gouvernement, ensuite, a conduit à des implantations industrielles dans une série de villes de l'intérieur: l'Etat cherchait à valoriser les ressources du sous-sol en créant des villes nouvelles à proximité immédiate des principaux gisements. 
 
Ainsi émerge, de la combinaison de ces trois influences essentielles, une différenciation spatiale complexe, source d'inégalités interrégionales. Trois grands pôles dominants se sont mis en place autour de Bombay, de Calcutta et de Delhi. Le Sud tout entier a une agriculture relativement prospère, associée à une nébuleuse de puissantes villes industrielles. L'intérieur de la péninsule a atteint un certain équilibre grâce à la modernisation de son agriculture et à l'essaimage de ses centres industriels. La situation est difficile dans un certain nombre de régions rizicoles très densément peuplées, où le développement des ressources n'a pas suivi la croissance démographique (plaine moyenne et inférieure du Gange). Le Nord-Ouest, qui est très sec, et les montagnes du Nord et du Nord-Est restent marginaux. 
Agriculture
 
L'agriculture, qui n'intervient que pour 31 % dans la formation du PIB, est handicapée par les difficultés que rencontrent les petits exploitants, en dépit des efforts qui ont été faits pour améliorer leur statut. Grâce à la révolution verte, l'agriculture indienne a pu faire face à l'augmentation de la population, sans toutefois parvenir à limiter les disparités sociales et régionales. 
 
Une réforme agraire modérée Les dernières décennies de la période coloniale avaient été marquées par une croissance très lente des productions vivrières. Les nouveaux dirigeants considéraient que cette situation était largement imputable à des structures sociales «paralysantes». Dans bien des régions, les cultivateurs se trouvaient dans l'incapacité de vivre convenablement; en outre, l'investissement rural était gelé par les lourds prélèvements opérés par les propriétaires absentéistes, qui se contentaient souvent de tirer une rente du sol, préférant se livrer au prêt usuraire plutôt que de procéder à des investissements productifs. Ne disposant finalement pas de garanties de stabilité suffisantes, les tenanciers n'étaient guère incités à investir. Une partie des propriétaires absentéistes tiraient leurs droits d'une législation héritée de l'Empire moghol, étendue et radicalisée par les Britanniques, qui avaient notamment transformé certains collecteurs d'impôts (les zamindar) en véritables propriétaires. 
 
Pour remédier à cet état de fait, les dirigeants du parti du Congrès préconisèrent la mise en œuvre d'une réforme agraire modérée: modification juridique du statut de la terre, sans partage des terres ni collectivisation. La fonction de zamindar abolie, les tenanciers purent recevoir des garanties de stabilité, alors que les loyers de la terre étaient plafonnés. Les législations différant d'un État à l'autre, le bilan de la réforme agraire est difficile à établir. Dans bien des régions, elle a permis l'émergence d'une «classe moyenne» d'agriculteurs disposant, en tant que propriétaires ou tenanciers, d'exploitations rentables et à même d'effectuer des investissements. Dans l'ensemble du pays, ceux-ci contrôlent près de la moitié de la surface agricole utilisée. Toutefois, les conditions de vie sont très difficiles pour les minifundiaires (les petits exploitants): disposant de moins de 2 ha de terre, ils ne contrôlent que le quart de la surface agricole, même s'ils représentent un peu plus des trois quarts des exploitants. Le sort des ouvriers agricoles sans terre – environ 40 % des paysans – est encore moins enviable. 
 
Du point de vue économique, la répartition de la terre peut assurer des conditions favorables à l'activité agricole, d'autant que les minifundiaires et les travailleurs sans terre sont particulièrement nombreux dans certaines régions (Est de la plaine du Gange, Kerala). En prenant en compte la très forte densité de la population, on voit mal comment une redistribution de terres plus radicale pourrait être effectuée. Le développement d'activités non agricoles semble être une alternative incontournable. 
 
Les systèmes de culture La pression démographique a conduit les agriculteurs indiens à associer deux périodes de cultures dans leur calendrier. Les cultures d'été (kharif), effectuées en saison des pluies, sont complétées par des cultures d'hiver (rabi), dont le problème majeur est l'alimentation en eau. Le recours à l'irrigation joue depuis des siècles un rôle important dans le calendrier agricole. Les apports artificiels d'eau permettent de protéger les cultures kharif contre les irrégularités des précipitations et de substituer des cultures grosses consommatrices d'eau, comme le riz et la canne à sucre, à des plantes dont les besoins sont moindres, mais qui sont peu valorisées (millets, arachides). Le rôle déterminant de l'irrigation pour l'extension des cultures rabi a été rapidement mis en évidence. La gamme des procédés techniques utilisés pour corriger les inconvénients de la répartition des pluies, dans le temps et dans l'espace, est très vaste: canaux distribuant les hautes eaux des rivières, puits, petits réservoirs (tanks), système de canaux partant des grands barrages-réservoirs. 
 
Les systèmes de culture fondés sur le riz permettent plusieurs types d'associations: avec la canne à sucre (en été), les millets, les oléagineux «tempérés» (colza, ricin, sésame) et les pois (en hiver). Ils caractérisent les régions bordières pluvieuses: petites plaines de la côte occidentale, deltas de l'Est, partie orientale de la plaine du Gange. L'irrigation étend désormais le domaine des cultures rabi de riz. Les systèmes fondés sur les millets – sorgho (jowar), mil (bajra) – associent des cultures sous pluie de millets et d'arachides avec du riz irrigué en kharif. Dans les régions où les sols ont un grand pouvoir de rétention d'eau, notamment sur les sols noirs que portent les basaltes, la culture du coton prend une grande place. Ces types d'associations dominent dans les régions relativement sèches du centre de la péninsule. Pour sa part, le blé est associé avec des pois et des oléagineux «tempérés» (rabi), du maïs, voire du riz et de la canne à sucre (kharif); cette combinaison est caractéristique des plaines septentrionales, où la baisse hivernale des températures est suffisante pour exclure les espèces tropicales de la période rabi, notamment le riz. L'hiver y assure, en outre, de bonnes conditions pour le blé, culture nécessitant un apport d'eau relativement faible. 
 
La révolution verte 
 
Après une période qui a vu le gouvernement tenter de répartir équitablement les investissements dans l'ensemble du pays, la grave crise des années 1965-1966 a fait prendre conscience des inconvénients d'un «saupoudrage» orchestré par New Delhi. Les pouvoirs publics ont donc cherché à associer sur les mêmes espaces l'irrigation, les engrais et les variétés à haut rendement mises au point dans des laboratoires de recherche agronomique. Cette stratégie, dite de la «révolution verte», a produit des effets spectaculaires: l'Inde a cessé d'importer des produits alimentaires tout en faisant face à l'augmentation de sa population. Mais la réussite n'est pas complète. Les inégalités se sont creusées entre les régions: les progrès ont avantagé celles qui étaient déjà bien dotées du point de vue des sols et des ressources en eau, à commencer par l'ensemble du Sud et par des États comme le Pendjab. D'autre part, si le niveau de vie des paysans s'est amélioré dans les régions les plus avancées, les inégalités sociales se sont maintenues, et même accentuées. La «révolution verte» est surtout le fait d'une moyenne paysannerie qui reste très minoritaire. 
Mines et énergie Les ressources du sous-sol sont variées. Si elles permettent de faire face à certains besoins actuels et d'alimenter le secteur des exportations, les réserves sont souvent insuffisantes pour offrir de réelles bases de développement. En matière d'énergie, l'Inde possède pourtant un atout non négligeable avec l'importance de la production et des réserves de charbon. La houille, dont l'Inde est le quatrième producteur mondial, est conservée dans des fossés d'effondrement du nord-est du socle, notamment dans celui qu'emprunte la vallée de la Damodar; premier bassin exploité en raison de la proximité de Calcutta, il reste en tête pour la production, même si la zone d'extraction s'est étendue vers le sud et l'est, jusqu'à la Godavari. Le pétrole jaillit dans deux régions limitées: le fossé de l'Assam, dans le Nord-Est, et les environs du golfe de Cambay, dans l'Ouest, où l'exploitation est en grande partie sous-marine, comme au large du port de Bombay. La production, encore modeste (45 millions de tonnes en 1997), permet de couvrir près de la moitié de la consommation actuelle, il est vrai assez sobre. 
 
En ce qui concerne l'électricité, pour l'essentiel produite par des centrales thermiques fonctionnant au charbon, l'Inde se situe au huitième rang mondial des producteurs. L'hydroélectricité, qui compte pour 25 % dans le total, provient de centrales installées à la sortie de l'Himalaya ou sur les grands fleuves de la péninsule. Pour mieux desservir les régions occidentales, des centrales nucléaires ont été construites (neuf sont actuellement en activité).
 
Le socle indien produit des minerais très variés. Les gisements de fer sont nombreux et dispersés; hormis celui de Goa, dont les exportations vers le Japon ont suscité le développement, les plus productifs se situent actuellement dans le Nord-Est, à proximité des zones charbonnières. Les ressources en cuivre, aluminium, or et argent ne sont pas négligeables, même si elles ne peuvent supporter la comparaison avec le manganèse, le chrome, l'amiante et le mica, matières premières alimentant les exportations. 
Industrie
 
Dès 1947, les dirigeants indiens ont souhaité compléter l'indépendance politique par une autonomie économique fondée sur la mise en place d'une gamme complète d'industries, de la sidérurgie aux biens de consommation. 
 
La stratégie indienne La politique industrielle a reposé sur l'édification d'un secteur public puissant et sur le partage des tâches entre les entreprises publiques et un secteur privé strictement contrôlé. Cette stratégie, périodiquement revue, a été mise en œuvre dans le cadre de plans quinquennaux fixant des objectifs et définissant les moyens pour les atteindre. Le financement des investissements publics a été assuré par la mobilisation de l'épargne intérieure et le recours à l'aide étrangère, dans le cadre d'accords bilatéraux. Le secteur public s'est vu réserver le contrôle des industries touchant à la défense, aux transports ferroviaires, à la sidérurgie et à l'énergie. Les usines publiques et privées se sont partagé les fabrications de machines-outils, les industries chimiques et pharmaceutiques. Le secteur privé jouit d'un monopole pour une vaste gamme d'industries de biens de consommation, en particulier le textile. Un certain nombre de domaines sont réservés à de très petites unités de production (small scale industries) ou à l'artisanat: cigarettes, articles textiles traditionnels et soieries. Le contrôle du secteur privé était entretenu par l'obligation administrative d'obtenir des licences pour créer des capacités de production, importer des matières premières et des machines, passer des accords avec des firmes étrangères. L'objectif sous-jacent de cette mesure contraignante était d'éviter le développement des industries de biens de consommation aux dépens des équipements de base. 
 
Depuis 1975, le poids de la bureaucratie, mais aussi les revendications des classes aisées, qui se renforcent et souhaitent s'équiper davantage en biens de consommation durables, ont conduit l'Etat à assouplir considérablement ce système, notamment pour ce qui concerne les licences. Les objectifs essentiels de cette stratégie ont été atteints: l'Inde est désormais dotée d'un ensemble industriel complet. Ses exportations de biens manufacturés (machines, diamants taillés, tissus, vêtements de coton, etc.) dépassent celles des produits agricoles et des matières premières. 
 
Les localisations Jusqu'à une date récente, la localisation des industries était encore marquée par le passé colonial. Depuis Calcutta et Bombay, les deux grands pôles industriels, s'est produit un essaimage en direction de villes plus ou moins éloignées: dans l'orbite de Calcutta, une série de villes sidérurgiques émaillent le Nord-Est, région riche en charbon et en fer (Jamshedpur, Bokaro, Bhilainagar, Rourkela). À moins de 200 km de Bombay, les décentralisations ont assuré le développement de villes comme Pune (ou Poona) et Nasik. De nouvelles nébuleuses industrielles sont nées, notamment dans l'extrême Sud (Bangalore, Coimbatore, Madras) et dans la région qui s'étend de Delhi à la frontière pakistanaise. La nébuleuse du sud du Deccan est formée par une association d'anciennes capitales ou de centres de pèlerinage (Mysore, Thanjavur), où aux activités traditionnelles se sont superposées des fabrications modernes. L'industrialisation gagne les alentours de Delhi, comme c'est souvent le cas pour les capitales politiques; elle s'est développée au Pendjab, État qui offre un marché important en raison de sa prospérité agricole et de son potentiel hydroélectrique. Les grandes villes de la plaine du Gange (Kanpur, Agra, Lucknow, Patna), celles de la péninsule (Nagpur, Hyderabad, Indore, Bhopal) et celles du Gujerat (Ahmadabad, Vadodara, Surat) ont été choisies comme lieu d'implantation de grandes usines du secteur public. 
Le commerce et les échanges Le commerce intérieur se rattache pour l'essentiel au secteur privé, bien que le gouvernement ait instauré un système de collecte et de distribution de quelques produits agricoles de base (riz, blé, millets, pois, huiles alimentaires), dont il fixe chaque année un prix plancher (auquel il les achète aux agriculteurs lorsque les prix du marché tombent sous ce seuil). Les quantités ainsi collectées sont vendues à prix coûtant dans un réseau dense de «magasins à prix équitables» (fair price shops), auxquels peuvent accéder les catégories les plus défavorisées. Cette intervention de l'État, qui porte sur un peu plus de 10 % de la production de céréales, permet donc de garantir les revenus aux agriculteurs et, en théorie, d'aider les couches les plus pauvres de la population urbaine. En pratique, cependant le système public de distribution de nourriture en Inde n'est bien utilisé que dans les États les plus favorisés ; ainsi, plus de la moitié de la population du Kerala, du Karnataka, de l'Andhra Pradesh et du Tamil Nadu a recours au système public de distribution de nourriture, alors que plus de 95 % de la population de l'Orissa, de l'Uhar Pradesh et du Bihar, qui comptent parmi les États les plus pauvres, n'y ont jamais recours. 
 
Le commerce privé est caractérisé par le foisonnement de très petites boutiques, voire des petits revendeurs à la sauvette, qui proposent fruits, légumes ou cigarettes à l'unité. Au cœur des grandes villes apparaissent des centres commerciaux d'allure moderne, destinés aux touristes et aux membres des classes aisées. Les petits commerçants appartiennent souvent à la caste spécialisée des vaiçya. 
 
Les échanges extérieurs de l'Inde ont considérablement évolué depuis l'indépendance. Alors qu'avant guerre la péninsule vendait du thé, du café, des épices et des textiles, les produits industriels représentent désormais 60 % des exportations. Du point de vue des importations, les biens d'équipement précèdent les produits pétroliers (respectivement 25 % et 15 % des débarquements). Les achats de biens alimentaires sont devenus insignifiants. Malgré ces transformations, l'Inde ne parvient pas à équilibrer son commerce extérieur, qui reste chroniquement déficitaire. 
 
Transports
 
De la période coloniale, l'Inde a hérité un réseau de voies ferrées beaucoup plus développé que celui de la plupart des autres pays du tiers-monde. Aussi ne s'est-elle pas trouvée devant la nécessité de construire une multitude de voies nouvelles: la longueur totale du réseau ferré est passée de 53.000 km en 1950 à 62.200 en 1995. Son efficacité a crû considérablement: des voies métriques ont été remplacées par des voies à écartement standard ; beaucoup de lignes à voie unique ont été doublées ; les axes majeurs ont été électrifiés. Ces réels progrès n'empêchent pas la persistance de goulets d'étranglement. Pendant d'assez longues périodes, l'efficacité des industries a été entravée par l'irrégularité de l'acheminement du charbon et des matières premières. Les trains de voyageurs parcourent encore assez lentement les très longues distances liées à la dimension du pays. Aussi, les Indiens les plus fortunés (hommes d'affaires et fonctionnaires), ainsi que les touristes, ont de plus en plus recours aux transports aériens, dont la compagnie publique (Indian Airlines) assure les grandes liaisons intérieures. Le gouvernement a autorisé une compagnie privée à desservir des villes moins importantes sur des itinéraires plus courts.
 
Le réseau routier reste très insuffisant: beaucoup de sections, même sur des axes importants, sont encore trop étroites, tandis que les autoroutes sont quasi absentes. La plus grande partie des routes secondaires ne sont pas asphaltées, ce qui entrave sérieusement l'accès à bien des villages pendant la saison des pluies. Les dix ports majeurs enregistrent ensemble un trafic total de 150 millions de tonnes, soit la moitié de celui de Rotterdam. Les liaisons internationales sont assurées par les trois aéroports majeurs (Bombay, Calcutta et Delhi). 
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