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HISTOIRE - INDE

L'histoire ancienne du pays que l'on appelle aujourd hui «l'Inde» s'apparente davantage à la description d'une civilisation qu'au récit linéaire d'événements «historiques» tel qu'on peut en établir pour l'Occident ou pour de grands empires comme la Chine ou l'Egypte. Il faut attendre la conquête perse et les contacts forcés avec une autre culture pour que l'histoire s'empare de l'Inde. Non pas que l'Inde soit une société «sans histoire» comme certains ont pu le prétendre au sujet des sociétés «primitives», mais plutôt parce que la civilisation indienne classique ignore l'histoire, à laquelle elle préfère le mythe. Ainsi, si des chroniques anciennes mentionnent certains rois, ce n'est qu'à travers l'évocation de traits convenus, qui ont pour but de montrer que le souverain se conformait à l'ordre du monde — le dharma. Les nombreux royaumes qui se développèrent en Inde jusqu'à l'arrivée des Moghols n'ont laissé ni archives ni biographies de personnages importants, et il est impossible de tenir une chronologie pour certaine en ce qui concerne toute l'histoire antérieure à la conquête perse, au Ve siècle avant J-C Aussi nos connaissances de l'Inde ancienne s'appuient-elles pour l'essentiel sur les données archéologiques. 
 
L'Inde elle-même est un concept récent. A l'époque védique, les textes parlent du Bharatavarsha, c'est-à-dire «le lieu où demeurent les descendants de Bharat», l'ancêtre mythique cité dans le Rig Veda et dont la geste est tracée dans la fameuse épopée du Mahabharata — de nos jours, en hindi, «Inde» se dit toujours Bharat. Le pays n'a donc reçu son nom actuel que depuis l'époque coloniale, avec la domination britannique. Il est par la suite question ici de ce vaste espace inscrit entre l'océan Indien et l'Himalaya, ainsi préservé par ces deux barrières naturelles d'influences massives de l'extérieur, et qui constitua sans doute pour cela un foyer propice à l'installation des hommes à une époque très reculée. (L'histoire du Pakistan à partir de 1947 ainsi que celle du Bangladesh, qui se sépara du Pakistan en 1971, sont traitées à ces entrées respectives.) 
 
L'enjeu de la définition de l'«espace indien» n'est pas que de pure forme : en Inde même, les partis nationalistes hindous, qui se sont emparés du pouvoir au milieu des années 1990, font en effet d'une certaine conception de l'histoire de leur pays l'un des instruments majeurs de leur propagande. Ils cherchent à établir les fondements historiques du caractère strictement hindou de l'Inde contemporaine, voire d'un pays plus vaste englobant Pakistan et Bangladesh, et ont parfois tendance à transfigurer ce que l'on sait de l'histoire réelle de cette civilisation. Cependant, aujourd?hui, en Inde, domine sans doute le souci d'écrire une histoire qui rende compte de l'évolution de la civilisation indienne, sans concession à des partis pris religieux. 
 
Les origines du monde indien Les découvertes concernant les origines du monde indien — qui correspond donc à l'Inde, au Pakistan et au Bangladesh actuels — révèlent une différence sensible entre le Nord, c?est-à-dire la plaine Indo-Gangétique, où s'épanouissent des civilisations qui comptent parmi les plus anciennes de l'histoire mondiale, comme la civilisation de Harappa ou de l'Indus — et le Sud, le vaste plateau du Deccan, où n'apparaît aucune civilisation techniquement aussi élaborée. 
 
Le paléolithique Le million d'années de préhistoire indienne, dont les principales cultures sont le soanien et le madrasien, semble se caractériser par le conservatisme de ses industries lithiques, dont l'outil de référence est le galet aménagé. Les techniques microlithiques, qui marquent la fin de la Préhistoire, apparaissent tardivement et ne se généralisent qu'au lendemain de la dernière grande glaciation. Les plus importants gisements d'outils paléolithiques découverts à ce jour se situent au Pakistan, dans les monts Shivalik, situés au pied de l'Himalaya, et dans le désert du Thar, à la frontière avec l'Inde. 
 
Le néolithique Aux marges de l'espace indien, dans le Baloutchistan (site de Mehrgarh), apparaît l'un des premiers foyers mondiaux de développement néolithique. Au cours du VIIIe millénaire s'y amorce le passage d'une économie fondée sur la cueillette et la chasse à une économie productrice, comparable à celle des civilisations du Proche-Orient. Pendant quatre millénaires, les innovations s'y succèdent, conduisant des premières agglomérations en briques crues, des domestications animales (chèvres, moutons, bovins) et des cultures végétales (orge) à un néolithique avec céramique à son apogée vers 6000, puis à l'adoption des techniques des métaux vers 5000. Après 4000, la diversification de l'agriculture autorise la formation d'un réseau d'agglomérations, puis une maîtrise de l'espace qui favorise la colonisation de la vallée de l'Indus vers 3000. Celle-ci devient alors l'une des voies axiales des échanges et le foyer de convergence des cultures régionales. Le travail du cuir et de l'ivoire apparaît aussi dès le néolithique. 
 
Parallèlement, les techniques du Baloutchistan ont rayonné en direction du Gange, où elles se sont mêlées aux innovations locales, si bien que les chasseurs-cueilleurs de l'Inde continentale adoptèrent à leur tour des pratiques agricoles. Dans la péninsule du Deccan, les plus vieux sites découverts à ce jour, dans le Karnataka, remontent au IIIe millénaire avant J-C 
 
La civilisation de l'Indus et son héritage 
La civilisation de l'Indus Au cours de la première moitié du IIIe millénaire, la diffusion de la civilisation élamite au travers du plateau iranien et le développement d'un commerce par voies terrestre, fluviale et maritime ont permis la multiplication des contacts des cultures de la vallée de l'Indus avec les civilisations du Moyen-Orient. Ces relations nouvelles stimulent les activités économiques et favorisent la naissance d'artisanats spécialisés. Ces contacts conduisent à l'émergence de structures sociales qui vont permettre un véritable saut culturel : la civilisation d'Harappa ou de l'Indus connaît son apogée entre 2600 et 2000 avant J-C Cette civilisation rappelle par maints aspects les civilisations contemporaines de la Mésopotamie. Puis les bourgs de la vallée de l'Indus entrent dans une période de transition, qui aboutit, vers 1750 avant J-C, à la fragmentation et à la disparition de la civilisation de l'Indus. Si les causes exactes en sont encore discutées, depuis des modifications environnementales majeures jusqu'à une inadaptation culturelle à certaines nouveautés venues de Bactriane, comme l'introduction du cheval et du chameau, il convient de noter la discontinuité entre la civilisation de l'Indus et la civilisation de l'Inde classique — à part, peut-être, le culte du lingam (phallus), que l'on retrouve plus tard dans le culte de Shiva. 
 
Il s'agit là d'une des questions les plus controversées de l'histoire de la civilisation indienne, et elle a des répercussions politiques jusqu'à nos jours. Les nationalistes hindous voudraient en effet établir un lien entre cette civilisation et l'histoire postérieure de l'Inde ; il semble pourtant que la civilisation de l'Indus ne peut être liée à la culture dravidienne du sud de l'Inde mais plutôt à la culture sumérienne, que la langue parlée à Harappa n'était sans doute ni indo-européenne ni dravidienne, et qu'il s'est sans doute passé quelque deux siècles entre la disparition de la civilisation de l'Indus et l'invasion des Aryens dans la région. Ce sont ces dernières population qui introduisent le sanskrit, tandis que l'on peut penser que la population harappéenne subsiste dans la plaine Indo-Gangétique et que, peu à peu acculturée, elle adopte la culture des nouveaux venus. 
 
Notons enfin que le mot «Indus» provient de sindhu, mot sanskrit désignant les rivières en général et plus particulièrement l'Indus, qui servit aux Perses puis aux Grecs et enfin aux musulmans pour désigner les populations qu'ils rencontraient au-delà de l'Indus — le mot sindhu déformé donna plus tard le mot «hindou», que les Indiens n'adoptèrent pour se désigner eux-mêmes qu'après les invasions musulmanes. 
 
L'Inde aryenne 
 
C'est dans un contexte de déliquescence de cette civilisation urbaine que, vers 1500 avant J-C, les Aryens (peuple indo-européen venu du Tadjikistan) ouvrent la deuxième grande phase de l'histoire de l'Inde. Ils colonisent l'Inde du Nord, lui imposent leur langue — le sanskrit —, leur religion — le védisme —, mais surtout leur hiérarchie sociale. Cette phase débute par une première période védique (de 1500 à 1000 av. J-C), où les Aryens cohabitent avec les sédentaires, héritiers de la civilisation de l'Indus, qui ont une culture plus développée. Tout en poursuivant leur vie tribale de pasteurs semi-itinérants, les Aryens se répandent dans le bassin de l'Indus, mais occupent essentiellement le Pendjab. 
 
Puis une manière de compromis s'établit avec certains groupes indigènes, premier pas du processus d'intégration culturelle qui, en deux millénaires, donnera à l'Inde et ensuite à l'Asie du Sud-Est une unité culturelle. En effet, les Aryens, porteurs d'un savoir (veda) inspiré par les dieux à des sages (rishi) qui le transcrivent en sanskrit archaïque, le font partager aux premiers habitants indusiens. À la veille du Ier millénaire avant J-C, les Indo-Aryens, qui maîtrisent bientôt la technique de la métallurgie du fer, débordent le cadre du Pendjab pour s'infiltrer dans la vallée du Gange. 
 
Les changements politiques Commence alors la deuxième période védique, de 950 à 600 avant J-C, au cours de laquelle les Indo-Aryens entrent dans un double processus d'évolution. Le premier, de nature politique, marque l'abandon du stade tribal au profit de confédérations, dont la définition est plus territoriale ; le second, religieux, voit s'élaborer des formes complexes, telles que les sacrifices cosmiques, qui conduisent à une répartition de la société en quatre fonctions (varna) fondées sur un rapport différent au sacrifice. Ces quatre varna sont : les brahmanes, qui accomplissent les sacrifices — les prêtres, mais il ne faut pas perdre de vue qu'il s'agit là d'une simplification certaine —, les kshatriya, qui font la guerre et constituent l'aristocratie, les vaiçya, qui correspondent au commun du peuple, et enfin les shudra, qui sont les serviteurs — ces derniers étaient peut-être à l'origine les indigènes non-aryens, mis au service des varna supérieurs. Ce n'est que par la suite qu'apparaîtront les «hors-castes». 
 
Lesdites confédérations en acquièrent une dimension préétatique, tandis que des mythes de fondation enracinent le nouvel ordre védique sur un centre, Haryana, qui devient la «terre sainte» de l'hindouisme, où la société indo-aryenne trouve les symboles de sa cohésion. 
 
Au moment où la vallée du Gange est colonisée émergent des chefferies claniques, parmi lesquelles celle des Kurukhs, implantée entre le vieux pays du Pendjab et le front pionnier de la vallée du Gange, qui se voit reconnaître une position dominante, magnifiée par l'épopée du Mahabharata, composée sans doute avant le IVe siècle avant J-C La pénétration des Indo-Aryens est bientôt telle que, dès 800 av. J-C, ils ont une connaissance certaine d'une bonne partie de l'Inde et instaurent de grandes entités politiques régionales, les Janapadas, qui découpent l'Inde du Nord. Par ailleurs, cette dernière réintègre le grand commerce maritime avec la Mésopotamie. Ces relations lui apportent, après plus d'un millénaire de parenthèse orale, une nouvelle forme d'écriture, alphabétique, la brahmi. Simultanément, les Indo-Aryens prennent le contrôle du Deccan — ce que rapporte le Ramayana sous un voile épique —, conçoivent potentiellement l'Inde comme un tout, et les grandes valeurs de leur culture sont progressivement codifiées. Ainsi les Vedas, qui sont les textes sacrés de l'hindouisme, apparaissent à cette époque (Rig Veda, Yajurveda, Samaveda et Atharvaveda). 
 
Une nouvelle urbanisation se développe, dans la vallée du Gange cette fois, dont la prise en main sera achevée à la fin du VIIe siècle avant J-C par les Indo-Aryens. Au terme de cette évolution culturelle, sur le plan religieux, l'enseignement des Veda (avec sa notion de salut collectif) cède devant les premières Upanishad et leur célébration d'une dévotion personnelle, qui semble marquer un retour vers une sensibilité religieuse préaryenne et sera désormais la marque de l'hindouisme. Sur le plan intellectuel naît une réflexion laïque personnelle, avec l'apparition de la philosophie de Kapila. L'épicentre de l'Inde glisse à nouveau vers l'est, où les pouvoirs locaux qui se structurent autour de leurs capitales fortifiées s'affrontent pour le contrôle de la navigation sur le Gange. 
 
L'expansion perse avec Darios, de 550 à 528 avant J-C, débouche sur le monde indien, apportant, en particulier, une deuxième écriture à l'Inde : la kharosti, dérivée de l'écriture de la chancellerie perse, à l'origine des alphabets contemporains. La diffusion du modèle politique perse suscite alors une première vocation impériale de la part des princes du Magadha (région qui assure le contrôle de la navigation sur le Gange), avec une première dynastie historiquement attestée, celle des Haryankas, qui s'affirme de 575 à 410 avant J-C 
 
Réformes religieuses Dans ce contexte de redéfinition des équilibres de l'ordre indien s'élaborent deux «réformes» de l'hindouisme, qui donnent naissance à deux grandes doctrines. Celles-ci vont structurer l'autre volet de la pensée indienne: celui du renoncement, de la non-violence et du détachement, grâce à l'organisation de communautés monastiques. Le bouddhisme de Çakyamuni (vers 563 - vers 470 av. J-C) devient la religion de référence de l'Inde et s'étend jusqu'en Extrême-Orient, alors que le jaïnisme de Mahavira (540-468 av. J-C) reste indien et minoritaire. Parallèlement, le classicisme indien achève de se fixer, avec la codification du sanskrit par Panini, dans la seconde moitié du Ve siècle avant J-C La pression exercée par les Indo-Aryens sur le Deccan a favorisé, probablement, l'émigration des Dravidiens de l'Inde du Sud vers l'Asie du Sud-Est, dont les premières mentions apparaissent dans le Ramayana. 
 
L'Inde classique Au terme de ces élaborations, l'épopée d'Alexandre, qui atteint l'Inde du Nord-Ouest en 326 avant J-C, ouvre le champ aux conceptualisations politiques unitaires autant qu'aux ambitions individuelles. 
 
D'Alexandre à l'ère chrétienne 
L'Inde : l'Empire maurya et l'Empire gupta En 327 avant J-C, Alexandre le Grand franchit l'Indus et parvient jusqu'au Gandhara. Il ne peut poursuivre sa conquête plus loin et établit plusieurs colonies grecques dans le sous-continent. Quelques années plus tard, entre 325 et 321, un aventurier, Chandragupta, renverse la dynastie des Nanda et s'empare du pouvoir au Magadha, dont il fait le noyau du premier Empire panindien, celui des Maurya, qui vont entreprendre une conquête souvent violente de l'Inde. Parallèlement, Kautilya, ministre de Chandragupta, compose le traité politique indien le plus célèbre, l'Arthasasthra, vers 300 avant J-C ; il concerne la vie politique, administrative et économique de l'Inde, et Kautilya y montre ce que doit être le bon gouvernement. L'Inde moderne s'affirme avec les Maurya. En 297, son fils, Bindusara, puis, en 273, son petit-fils, Açoka, succèdent à Chandragupta. 
 
Chronologie (- 269) Açoka est le grand empereur bouddhiste de l'Inde. Il se convertit à cette religion fondée sur la non-violence à la suite d'une campagne militaire très meurtrière, puis envoie des missions convertir les habitants de Ceylan. Il est aussi un grand organisateur et administrateur. A sa mort, en 237 avant J-C, l'Empire se morcelle. Son destin se révèle parallèle à celui de l'Empire gréco-iranien des Séleucides. Lorsque le dernier Maurya disparaît, en 185 avant J-C, le sous-continent se repartage entre une Inde gangétique aux mains des Çunga, une Inde du Nord-Ouest, où des aventuriers grecs venus de Bactriane se taillent des royaumes, et une Inde du Centre et du Sud, où les principautés locales (Andhra, Kalinga, Pandya) affirment leur jeune personnalité. 
 
Les Çunga sont renversés à leur tour par les Kanva (de 73 à 25 av. J-C), pendant que les Grecs sont éliminés par les Sakas de Transoxiane (d'autres Indo-Européens de la steppe), qui, chassés par les turbulences de l'Asie centrale, s'implantent à leur tour dans l'Inde du Nord-Ouest au cours du Ier siècle avant J-C Parallèlement, les Andhra de l'Inde centrale tentent de reconstituer un empire. Définitivement libérées, les principautés de la façade maritime du golfe du Bengale rayonnent sur l'Asie du Sud-Est où, à l'aube de l'ère chrétienne, apparaissent les premières chefferies indianisées. C'est alors qu'une nouvelle vague d'envahisseurs indo-européens venus d'Asie centrale, les Kushanas, sait tirer profit de l'expansion du grand commerce «international», favorisé par le développement des Empires romain et chinois, pour s'installer en position articulatoire, des passes de l'Asie centrale à la vallée de l'Indus et à celle du Gange, et redonne ainsi une cohésion impériale au monde indien. Ce nouvel Empire connaît son apogée au Ier siècle après J-C, avec l'empereur Kanishka. 
 
Du Ier au Ve siècle 
 
Cependant, l'agitation hunnique en Asie centrale remet en cause cet équilibre : le pôle des échanges mondiaux se déplace plus à l'ouest, au bénéfice de l'Iran des Sassanides, qui défont les Kushanas en 242. La dynastie des Satavahana, ou Andhra, au sud, décline parallèlement et est remplacée par des pouvoirs situés plus à l'est, en relation avec le commerce du Sud-Est asiatique : les Pallava de Kanchipuram (250) et les Vakataka de Nandivardhana (270). Mais le succès même de ces entreprises permet à un nouveau pouvoir panindien de se constituer, au centre traditionnel de l'Inde, sur l'ancien royaume de Magadha, d'où émerge une nouvelle dynastie impériale, celle des Gupta, qui acquiert sa puissance avec Chandragupta, son fondateur en 320. Avec ce nouvel Empire, l'Inde connaît un essor économique et culturel de tout premier plan, d'autant plus que, pendant longtemps, elle est le seul royaume épargné par les invasions des peuples des steppes. La renaissance hindouiste se traduit par un essor de la littérature, encouragée par le roi Chandragupta, comme l'illustre le poète tragique Kalidasa, qui a parfaitement su traduire l'idéal de la société brahmanique. 
 
L'empire des Gupta finit par être victime des invasions des peuples des steppes (qui ne sont plus des Indo-Européens). Skandagupta (455-467) cède sous la pression des Huns blancs, ou Huns Hephthalites. La société indienne entre alors dans une phase d'émiettement politique et de dépression économique. Le sud du pays, le Tamilakan, où vivent les populations dravidiennes, est lui aussi longtemps très divisé, notamment entre les Pandya de Madurai, les Cherra de la côte de Malabar et les Chola de Thanjavur, et les conflits sont fréquents. Puis les Kalvar et enfin les Pallava imposent leur autorité au Ve siècle. Les Pallava, font définitivement entrer les pays tamouls dans l'histoire indienne. Si ces dynasties échappent dans un premier temps à la dépression, elles ne peuvent éviter d'être touchées dans un second temps, du fait de la diminution du commerce maritime entre l'Inde et la Chine. 
 
Les Huns blancs, pris à revers par les Turcs d'Asie centrale, sont finalement vaincus en Inde du Nord au milieu du VIe siècle. L'Inde n'en reste pas moins fragmentée au cours du VIIe siècle, et les tentatives de restauration de l'unité échouent : celle des Calukya en Inde centrale ou celle du roi Harsha (606-647) en Inde du Nord. Désormais, l'Inde ne trouvera plus en elle les moyens d'un ordre impérial. 
 
La marque de l'islam 
 
L'Asie vers 750 L'islam profite de l'instabilité chronique de l'Inde pour s'enfoncer, au fil des siècles, un peu plus profondément dans le Nord-Ouest, où il est cependant contenu pendant un demi-millénaire. La première conquête de l'Inde par les musulmans est celle du Sind en 712, mais elle est aussitôt arrêtée — les musulmans parviennent cependant en 724 à faire nommer un gouverneur représentant le calife. 
 
Les divers royaumes indiens, à défaut de retrouver la voie de l'unité (dynastie des Gurjara, en Inde du Nord, etc.), retrouvent au moins, grâce au redémarrage économique favorisé par l'islam, celle de leur prospérité. C'est ainsi que, au IXe et au Xe siècle, l'Inde, rendue forte par le dynamisme politico-économique de ses divers royaumes et de leurs brillantes dynasties, comme celle des Candella, entre dans une période où les différences régionales se marquent davantage. En même temps, le bouddhisme laisse la place au brahmanisme, marqué par une extension de la surface des temples, la complexification de leur structure, et le développement de la sculpture et des peintures murales. L'Inde produit alors de brillants mathématiciens, qui inventent le zéro et calculent la valeur de pi jusqu'à la quatrième décimale. Enfin, les astronomes affirment que la Terre est ronde. 
 
Dans l'Inde du Sud, les Chola, avec le roi Vijayalaya, s'emparent du royaume des Pallava, et s'étendent vers le nord, mais aussi vers le sud en s'emparant des îles Maldives, de la côte de Malabar et de Ceylan. C'est le prélude à une extension maritime de grande ampleur. 
Les vagues turques 
 
Au début du XIe siècle, la pression de l'islam arabo-iranien est remplacée par celle des Turcs nouvellement islamisés : avec Mahmud de Ghazni, qui hérite le pouvoir de son père en 998, ils prennent bientôt le contrôle de l'Inde du Nord-Est autour de Lahore, capitale du Pendjab. Mais, à la mort de Mahmud de Ghazni en 1030, la vague retombe, et la frontière avec l'islam se stabilise à nouveau pour un siècle et demi, jusqu'en 1191, pendant que les thalassocraties de l'Inde du Sud (les Chola) tentent de prendre le contrôle des voies maritimes en direction du Sud-Est asiatique, poussant leurs expéditions jusqu'à Sumatra. 
 
Une nouvelle vague turque, celle de Muhammad de Rhur (ou de Ghur), s'avance à partir de 1175, prend pied dans la vallée du Gange, est d?abord battue par les hindous de Prithvi Raj lors de la première bataille de Tarain en 1191, puis les vainc l'année suivante, toujours à Tarain. Elle fait disparaître en Inde du Nord la brillante civilisation hindoue : le général Qutb al-Din Aybak fonde la dynastie des Mamelouks, dite des Esclaves — Qutb al-Din Aybak était en effet un esclave de Muhammad de Rhur, le statut d'esclaves n'étant alors qu'une façon, pour les fils de familles pauvres, de monter dans la hiérarchie sociale et militaire. La nouvelle dynastie s'installe à Delhi en 1193 et Qutb al-Din Aybak prend ensuite le titre de sultan ; s'étant fait reconnaître par le calife de Bagdad, il cherche à étendre l'autorité du sultanat à toute l'Inde du Nord. Cinq dynasties musulmanes se succèdent sur le trône de Delhi : celles des Esclaves (1206-1290), des Khaldji (1290-1320), des Turhluq (1320-1414), des Sayyid (1414-1450) et des Lodi (1451-1526). Elles sont contraintes de contenir par trois fois (1221, 1241 et 1292) la pression mongole. Le Deccan reste aux mains des hindous, dont les multiples dynasties continuent à prospérer. 
 
Le sultanat de Delhi Le sultanat de Delhi, malgré une histoire dynastique troublée, entreprend alors de «nettoyer» l'Inde du Nord (1296), et fait disparaître les derniers princes bouddhistes de la péninsule, les Pala et les Sena du Bengale ; il se lance ensuite à la conquête du reste de l'Inde, mais le coût de la guerre est tel que, malgré les pillages, une crise économique interne au sultanat est difficilement maîtrisée, par un très strict et remarquable contrôle. Si la dynastie des Turhluq tente de maintenir la vocation impériale du sultanat au milieu de difficultés croissantes, elle ne peut empêcher sa féodalisation (et l'indianisation corrélative de l'islam), ni la reconstitution de grands pouvoirs hindous (fondation en 1336, dans le Mysore, du royaume de Vijayanagar, en lutte, pendant plus de deux siècles, contre l'islam), ni la terrible invasion turco-mongole de Timour Lang (Tamerlan), qui ravage l'Inde du Nord-Ouest en 1398. 
 
Chronologie (1498) Le sultanat de Delhi sort affaibli de l'épreuve au point que, déchiré par les révolutions de palais, les changements dynastiques et les guerres de succession, il n'a plus les moyens de maintenir son rôle unitaire. Pendant plus d'un siècle et demi, l'Inde redevient une mosaïque féodale, partagée en royaumes prospères et souvent bien gouvernés, qui favorisent l'éclosion des arts. Dans un climat qui n'est pas sans rappeler celui de l'Europe de la Renaissance, après près d'un millénaire d'interruption des relations directes, l'Occident refait son apparition aux Indes. Au terme d'un siècle d'une méthodique expansion maritime, qui a permis aux Portugais de maîtriser la circumnavigation de l'Afrique, Vasco de Gama atteint Calicut en 1498. Hollandais, Danois, Anglais et Français suivront bientôt, mais ils seront animés d'intérêts essentiellement commerciaux. Leur rôle demeure secondaire jusqu'au milieu du XVIIIe siècle. D'autant plus qu'un petit prince du Ferghana, Babur (ou Baber, 1483-1530), descendant de Timour Lang par son père et de Gengis Khan par sa mère, jette les bases d'une restauration d'un ordre impérial qui va durer plus de deux siècles. L'origine mongole de Babur — mughal en arabo-persan  — explique le nom donné à l'empire fondé par ses successeurs, l'Empire moghol. 
 
L'Inde moderne Chronologie (1556) Chronologie (1561) Au terme de trente-cinq ans de raids aux fortunes alternées (1525-1561), les princes de la lignée de Babur s'imposent à l'Inde en la personne de son petit-fils Akbar (1542-1605); il double sa politique impériale de conquête — il met fin au dernier grand État hindou de l'Inde du Sud, celui de Vijayanagar, en 1565 — d'un partage tolérant des responsabilités politiques entre personnalités des diverses religions. 
 
L'Empire moghol 
L'Empire moghol (1526-1858) Chronologie (1658) Pendant un siècle, les Moghols contrôlent la quasi-totalité de l'Inde, mais, après la mort d'Aurangzeb (1658-1707), qui avait infléchi la politique impériale dans le sens d'un respect dévot et intolérant des préceptes de l'islam, l'Empire, affaibli, est décomposé par les guerres de succession. 
 
Bien que le raid du roi perse Nader Chah sur Delhi (1739) soit une parenthèse sans lendemain — en effet, l'Empire ne disparaîtra en titre qu'en 1858 —, l'autorité de l'administration impériale, après cette date, tend à être nulle. L'Empire moghol est démembré, les pouvoirs hindous renaissent, et les puissances occidentales, qui s'étaient contentées de gérer au mieux leurs comptoirs commerciaux, sont alors insérées dans le réseau de pouvoirs indiens.
 
C'est alors que Dupleix, devenu gouverneur de Pondichéry en 1742, envisage tout à la fois de créer un empire européen sur les ruines de l'Empire moghol et, par contagion des conflits franco-anglais de l'Europe, de ruiner les positions britanniques aux Indes. Après de notables succès, Dupleix est rappelé en France en 1754. Sa politique est récupérée par son adversaire Clive, qui l'inaugure par une première grande victoire sur le nabab du Bengale, à Plassey en 1757; elle marque le début d'une ascension qui sonnera le glas de l'Inde française et s'achèvera par la prise en main de l'ensemble du sous-continent indien par les Britanniques. 
 
Le temps de la Compagnie des Indes 
 
Chronologie (1674) La double défaite des Français à Madras et du nabab du Bengale marque l'échec de toute tentative d'élimination des Britanniques ; la France ne conserve plus que cinq comptoirs : Pondichéry, Yanaon, Karikal, Mahé et Chandernagor. Les Britanniques, en revanche, s'installent durablement. 
 
Les conquêtes militaires Pour éviter de se trouver en première ligne dans les conflits entre princes, la Compagnie britannique des Indes orientales doit reprendre à son compte la politique des Grands Moghols : s'allier aux puissances dominantes du moment, au nord les Marathes, et au sud le nizam de Hyderabad. Les Britanniques vont ainsi pouvoir renforcer leur présence dans l'Inde du Sud : malgré la résistance (1765-1799) de Haydar Ali puis celle de Tipu Sahib, ils s'emparent de Mysore. Profitant de querelles de succession, ils prennent le contrôle administratif de Madras puis de Tanjore (ou Thanjavur), avant de placer, en 1822, le nizam de Hyderabad sous protection militaire. 
 
L'éclatement de la confédération marathe, entre 1800 et 1810, leur permet ensuite de renforcer leurs positions dans le Nord : ils prennent le contrôle du port de Surat, puis d'Oudh. Ils se trouvent dès lors face à la puissance dominante de l'Inde du Nord-Ouest, celle des sikhs, constitués en empire depuis 1764. Ce n'est qu'après vingt ans de guerre que les Britanniques arriveront à les vaincre (en 1846), le relais des sikhs étant pris, dès 1834, par les Afghans, qui résisteront jusqu'en 1914. 
 
La rentabilité économique L'objectif premier de la Compagnie reste le profit, et, pour faciliter l'exploitation commerciale des Indes, les Britanniques introduisent un appareil réglementaire de type occidental : modification du régime foncier en 1793 ; création d'un corps de collecteurs d'impôts, les zamindar, qui se transformeront progressivement en «propriétaires» fonciers; instauration d'un système judiciaire ; puis fondation d'un premier collège anglo-indien en 1834. Ce cadre facilite les synergies avec les autres implantations asiatiques de la Compagnie, en premier lieu en Chine : le développement des plantations d'opium au Bengale permet de compenser les achats de produits chinois.
 
La révolte des cipayes (avril 1857-juin 1858) 
 
C'est dans ce contexte de renforcement de la tutelle britannique que l'annexion d'États sans héritiers directs (Udaipur, Jhansi, Nagpur) met le feu aux poudres. Bon nombre de princes, à commencer par les Marathes, vont alors s'allier aux cipayes (les soldats indigènes de l'armée des Indes), qui refusent les nouvelles cartouches enduites de graisse animale. Coalition hétérogène, la «grande mutinerie» échoue, et la répression qui s'ensuit est particulièrement brutale. En substituant, en 1858, la Couronne britannique à l'Empire moghol (le dernier empereur est déporté en Birmanie), Londres régle — mais pour un temps seulement — le problème politique. 
 
Le British Raj de 1858 à 1919 L'Inde sous l'administration britannique 
 
Chronologie (1876) Les Indes passent alors sous l'administration d'un vice-roi et de l'Indian Civil Service. Peu nombreux, environ 100.000, pour dominer un si grand ensemble (4,7 millions de kilomètres carrés), les Britanniques adoptent un système mixte : les deux tiers du subcontinent sont sous administration directe ; le tiers restant est laissé aux princes (environ 600 au début du XXe siècle), vassaux de la Couronne, localement représentée par un résident qui jouit d'un droit de regard sur les affaires intérieures et extérieures. Une véritable idéologie coloniale, fondée sur la «supériorité culturelle des conquérants», se développe. Lorsque la reine Victoria prend le titre d'impératrice des Indes, en 1876, la suprématie «impériale» légitime toute intervention dans les successions princières. 
 
Un développement économique. Le développement des chemins de fer permet de mettre en valeur des régions entières spécialisées dans les cultures d'exportation (jute, thé, coton), lesquelles alimentent les usines britanniques. Avec l'imposition du monopole des cotonnades, les «indiennes» sont désormais fabriquées dans le Lancashire, et les usines locales sont ruinées. L'émergence d'une pensée politique. Le développement d'une bourgeoisie indienne anglicisée, mais exclue de l'appareil politique — en 1879, le nombre de fonctionnaires indiens est limité à un sixième des effectifs —et économiquement brimée, aboutit à la naissance de deux courants, qui perdureront après l'indépendance, l'un nationaliste et l'autre traditionaliste hindou. À la différence des traditionalistes, dispersés en une multitude de groupes, le parti du Congrès (fondé en 1885 par un Britannique) réussit à structurer le nationalisme en s'appuyant sur deux des trois premières castes indiennes : les brahmanes et les vaiçya (caste marchande), les castes princières «collaboratrices» (les kshatriya ou rajput) restant à l'écart. 
 
La question est alors de savoir si l'Inde est une nation ou un simple concept géographique. En 1904, en partageant le Bengale en deux entités, l'une musulmane et l'autre hindoue, lord Curzon (vice-roi de 1898 à 1905) affirme de facto l'inexistence de la nation indienne. Il pousse ainsi les musulmans, qui constituent la première des minorités de l'Empire (plus du quart de la population), à s'organiser, et la Ligue musulmane est créée en 1906. Lorsque les nationalistes étendront leur action au domaine économique en prônant le boycott des marchandises anglaises, l'agitation deviendra permanente, et les Britanniques y répondront par une série de réformes ambiguës : en 1909, la généralisation et le renforcement des conseils provinciaux, mesure contrebalancée par la création d'un électorat séparé pour les musulmans ; puis l'élection en 1919 de la majorité des membres des conseils législatifs provinciaux, compensée par un arsenal répressif largement utilisé, comme en témoigne le massacre d'Amritsar (13 avril 1919, au moins 379 morts), qui généralisa les procédures d'exception. 
 
En 1914, le retour de Gandhi en Inde, où il était déjà connu pour son action contre l'apartheid dont étaient victimes ses compatriotes d'Afrique du Sud, augure d'une transformation du combat politique que se livrent Indiens et Britanniques. Gandhi propose au parti du Congrès une nouvelle méthode de lutte ; son discours, à la fois moderne et traditionaliste, plaît autant aux paysans pauvres et aux hors-castes qu'aux propriétaires terriens. Sous son impulsion, la contestation antibritannique prend une ampleur inconnue jusque-là. 
 
De plus, la Première Guerre mondiale entraîne l'Inde dans un conflit lointain, où sont engagés 1,2 million de combattants indiens. Les fantassins indiens, souvent utilisés comme troupes de choc, paient un lourd tribut à la guerre de mouvement puis de tranchées. Le mécontentement se propage parmi les élites indiennes. 
La lutte pour l'indépendance (1919-1947) 
 
Gandhi choisit d'utiliser deux «armes» de type culturel : en jouant sur l'image traditionnelle du saint (sadhu ou sannyasin), il rassemble les masses qu'un débat politique occidentalisé ne pouvait mobiliser et, en fondant son action sur la non-violence (ahimsa), il place les Britanniques dans une position moralement inacceptable, ce qui lui confère la position dominante de Mahatma («grande âme») au sein du Congrès. Le mouvement de lutte pour l'indépendance va dès lors se dérouler en trois phases : désobéissance civile, de 1919 à 1922 (grève générale, mouvement de non-coopération, destruction des cotonnades britanniques) ; négociation, de 1930 à 1940 (l'aile gauche du Congrès réclame l'indépendance) ; pression pour obtenir le plus rapidement possible l'indépendance (résolution «Quit India» lancée en 1942). 
 
Le mouvement de non-coopération Les Indiens profitent de la conjonction de deux mouvements : le Congrès et Gandhi mettent en avant la non-coopération avec les Britanniques, et s'allient aux musulmans, mécontents de la politique britannique à l'égard de la Turquie au sortir de la Grande Guerre. Le mouvement consiste à ne pas participer à tout ce qui permet la domination britannique, depuis le boycott des écoles et des tribunaux officiels jusqu'à celui des marchandises comme les tissus de coton importés d'Angleterre. Le mouvement prend fin lorsque Gandhi, bouleversé par la tuerie de Chauri-Chaura (dans les United Provinces, au nord du pays) au cours de laquelle vingt-deux policiers trouvent la mort, prend conscience de l'impossibilité temporaire de mener un mouvement non violent. 
 
La marche du sel Après avoir fait voter par le Congrès la revendication de l'indépendance au cas où les Britanniques n'accorderaient pas à l'Inde le statut de dominion avant fin 1929, Gandhi organise en 1930 une «marche du sel» pour demander l'abolition de l'impôt sur le sel. Les conséquences de la crise de 1929 et le succès de «la marche du sel», en 1930, placent Gandhi en position de négociateur lors de la conférence de la Table ronde en 1930-1931. Pourtant, il n'obtient rien du vice-roi, lord Irwin, qui au contraire, en 1931-1932, choisit d'affronter le mouvement nationaliste (arrestations des dirigeants du Congrès). Le projet constitutionnel britannique prévoyant d'instituer des régimes électoraux séparés pour les musulmans, les hors-castes et les sikhs, est abandonné du fait de Gandhi qui, au moyen de son jeûne de 1932, finit par faire céder le dirigeant hors-castes Bhimrao Ram-ji Ambedkar, tandis que la réforme de 1935 «crée» trente millions d'électeurs. Lors des élections provinciales de 1937, le Congrès obtient un succès électoral déterminant. 
 
De son côté, la Grande-Bretagne réorganise son empire : dans les années 1930, elle crée en Inde l'État d'Orissa et la province du Sindh, gouvernée par les musulmans ; d'autre part, la Birmanie est séparée de l'Inde. Devant le succès du Congrès, les autres mouvements se radicalisent. La Ligue musulmane de Muhammad Ali Jinnah, reprenant une idée émise dans les années 1930 par le poète Muhammad Iqbal, demande à partir de 1940 (conférence de Lahore) la création d'un État musulman séparé. 
 
«Quit India» Alors que les tensions montent en Europe et laissent prévoir un conflit d'ampleur mondiale, le parti du Congrès demande que l'Inde ne puisse être engagée dans aucune guerre sans le consentement de son peuple ou de ses représentants, et notamment qu'aucune force armée indienne ne soit envoyée combattre à l'étranger. Cependant, le vice-roi annonce, dès la déclaration de guerre en Europe, que l'Inde se trouve elle aussi en guerre. En 1940, le Congrès, refuse la voie de la non-violence dans une situation de guerre — en désaccord public sur ce point avec Gandhi —, et appelle à une désobéissance civile individuelle, à laquelle les Britanniques répliquent en incarcérant quelque trente mille activistes. Après l'attaque japonaise sur Pearl Harbour et l'entrée en guerre des États-Unis, les dirigeants du Congrès se retrouvent divisés : Subhas Chandra Bose choisit de soutenir le Japon contre les Britanniques et forme une armée de libération ; Gandhi prône toujours la résistance non violente dans le cas d'une éventuelle invasion japonaise, et est de nouveau désavoué par le Congrès en décembre 1941 ; Nehru et la plupart des dirigeants du Congrès demandent à la Grande-Bretagne qu'elle inscrive l'indépendance de l'Inde comme l'un de ses buts de guerre, afin d'entraîner les Indiens dans la résistance antijaponaise. 
 
La commission Cripps. Les Britanniques, sous la houlette de Churchill pour lequel l'Inde «constitue la gloire et la puissance de l'Empire britannique», refusent toute idée d'une Inde émancipée et déclinent l'offre du Congrès. En mars 1942, ils envoient en Inde une mission dirigée par sir Stafford Cripps, chargée de préparer le futur d'une Inde à laquelle serait accordé un statut de «self-governing dominion» («dominion à gouvernement autonome»). Dans le même temps, la commission Cripps offre la possibilité, aux provinces et aux États princiers qui le souhaiteraient, de faire sécession, une fois la guerre terminée ; or il y a à ce moment en Inde quelque six cents Etats princiers, et les Britanniques ouvrent ainsi toute grande la voie à l'éclatement de l'Inde. Gandhi comme Nehru rejettent la proposition de sir Stafford Cripps, qui quitte très vite l'Inde. Les dirigeants du Congrès emprisonnés. Le 8 août 1942, le Congrès lance le mouvement Quit India as masters — «quittez l'Inde en tant que maîtres» —, qui durera jusqu'en 1945. La résolution réclame la reconnaissance immédiate de la liberté de l'Inde et la fin du gouvernement du pays par les Britanniques, «à la fois dans l'intérêt de l'Inde et pour le succès de la cause des Nations unies. La poursuite de cette domination est dégradante et affaiblissante pour l'Inde, et la rend toujours moins capable de se défendre elle-même et de contribuer à la cause de la liberté mondiale». Les dirigeants du Congrès sont aussitôt emprisonnés pour avoir refusé de soutenir l'effort de guerre. Aux catastrophes agricoles — la famine de 1943, au Bengale, fait 2 à 3 millions de morts, en partie à cause de la destruction volontaire, afin de gêner une éventuelle invasion japonaise, de la quasi-totalité des embarcations disponibles, lesquelles permettaient le transport des denrées — répond désormais une violence politique incontrôlée. En 1945, les Britanniques, poussés dans cette voie par les Etats-Unis, hostiles à tout empire colonial, envisagent de quitter l'Inde. De plus, les électeurs écartent Churchill, qui restait opposé au retrait britannique d'Inde.
 
La sortie de la guerre. Le nouveau gouvernement de Londres est de tendance travailliste, et la position du Premier ministre, Clement Attlee, est plus favorable au désengagement britannique d'Inde. Au début de 1946, la mission envoyée en Inde par Londres dans le but de trouver un accord entre la Ligue musulmane et le Congrès échoue à cause de l'impossibilité de s'entendre sur la composition d'un gouvernement de transition. La Ligue musulmane lance alors une journée de protestation, le 16 août 1946 (Direct Action Day), qui débouche sur une tuerie à Calcutta. Les quelques mois qui suivent la fin de la guerre montrent l'incompatibilité entre les diverses positions, incarnées par les musulmans partisans de la Partition, les hindouistes nationalistes réclamant un «État hindou», Gandhi mettant l'accent sur l'Inde traditionnelle, et Nehru, partisan d'une «démocratie socialiste». Le compromis est inévitable : les Britanniques cherchent à se retirer au moindre coût, tandis qu'au Congrès, les dirigeants — sauf Gandhi — finissent par accepter l'idée d'une partition du pays. Quant à Jinnah, qui avait d?abord cherché à amener son organisation, la Ligue musulmane, à s'entendre avec le Congrès, il estime que la perspective d'un État musulman est la meilleure réponse à l'«hindouisation» des positions du Congrès. 
La Partition (1947) 
Chronologie (1947) Chronologie (1948) 
 
Tentative d'assassinat du mahatma Gandhi à Delhi (1948) En février 1947, la Grande-Bretagne annonce qu'elle abandonnera le pouvoir à une autorité indienne le 30 juin 1948 au plus tard. L'agitation ne cesse pourtant pas, et le nouveau vice-roi, lord Mountbatten, accélère le processus qui aboutit à l'indépendance. Malgré l'action de Nehru et les jeûnes de Gandhi, lord Mountbatten divise le subcontinent en deux : le Pakistan (occidental et oriental), qui rassemble les provinces à majorité musulmane, et l'Inde. La Partition, effectuée sur fond de massacres et de guerre civile, fera quelque 14 millions de réfugiés, sans pour autant régler la question : un tiers des musulmans resteront sur le sol indien. Assassiné en 1948 par un activiste nationaliste hindou, Gandhi en paiera symboliquement le prix — à la suite de cet assassinat, Nehru interdit le Rashtriya Swayamsavak Sangh (RSS, «association des volontaires nationaux», parti hindouiste nationaliste). 
 
L'Inde contemporaine Alors que l'Inde devient d'abord un dominion — avant d'accéder à l'indépendance pleine et entière une fois sa Constitution adoptée, en 1950 —, le statut de certains États princiers pose problème, tels le Cachemire, à souverain hindou mais à population musulmane, le Hyderabad et le Junagadh, à souverains musulmans mais à populations hindoues. Si l'armée indienne s'empare sans difficulté du Junagadh puis, en 1948, du Hyderabad, il en va différemment du Cachemire, où les districts musulmans se révoltent contre le maharadjah Hari Singh, lequel fait appel à l'Inde. Il s'ensuit une première guerre indo-pakistanaise, de 1947 à 1949, puis le rattachement sans référendum, en dépit des accords de l'ONU, du Cachemire à l'Inde, en 1956. L'Inde récupère ensuite les dernières enclaves coloniales : la France cède ses comptoirs en 1954 — cession officialisée par le traité du 28 mai 1956, ratifié par le Parlement français en 1962 —, le Portugal perd Goa en 1961 — le territoire est envahi par l'armée indienne et définitivement rattaché à l'Inde en 1962. Une fois les problèmes territoriaux réglés, l'évolution de l'Union indienne, «la plus grande démocratie du monde», sera dominée par deux problèmes : l'un politique (gestion du pluralisme ethnoculturel), l'autre économique (choix d'un modèle de développement). 
 
Les années Nehru (1948-1964) 
 
Malgré un réel multipartisme, le Congrès conserve une position dominante. Si, par le remodelage de certains États sur une base ethnolinguistique (Assam, Pendjab, Andhra Pradesh, Maharashtra, Gujerat…), les autorités cherchent à créer des entités culturellement viables, le fédéralisme reste pondéré par des dispositions qui permettent au gouvernement central, en cas de crise grave, de donner toutes directives aux autorités provinciales.
 
La modernisation du pays Agnostique, le brahmane qu'est Nehru abolit, en 1950, le régime des castes, au nom d'une laïcité incompatible avec la prédominance, dans le domaine social, du religieux. Il cherche à concilier croissance économique et répartition des richesses, en lançant une réforme agraire et en réservant certains secteurs économiques aux entreprises d'État. Le résultat sera une progression régulière du PIB, de l'ordre de 3 à 4 % par an, légèrement supérieure à la croissance démographique. La redistribution des terres a cependant des effets négatifs sur l'assise électorale du Congrès, les paysans aisés, qui en constituent une des bases, se tournant alors vers d'autres partis, notamment les hindouistes nationalistes qui prônent le «communalisme» — renforcement du pouvoir des communautés, contre le principe d'une Inde fédérative. 
 
Une politique extérieure active Tout en maintenant l'Inde dans le Commonwealth, Nehru cherche à lui donner un rôle international. Dès mars 1947, soit avant l'indépendance, l'Inde accueille une conférence asiatique réunissant vingt-cinq pays du continent. Nehru est attaché à l'indépendance nationale ainsi qu'à l'amitié entre les peuples ; il élabore le concept de «non-alignement», à la fois anti-impérialiste et tiers-mondiste, qui repose sur la coopération entre les diverses nations. L'Inde est toujours présente lors des grands conflits qui agitent le monde de l'après-guerre : elle condamne l'agression de la Corée du Sud par la Corée du Nord mais refuse de condamner Pékin ; elle condamne l'intervention franco-anglo-israélienne à Suez en 1956 ; si elle désapprouve l'intervention soviétique en Hongrie, toujours en 1956, elle ne s'associe pas à la déclaration des Nations unies demandant que des élections soient organisées sous le contrôle de l'organisation internationale. Cependant, le non-alignement n'est pas une politique de bascule entre les blocs ; il correspond à ce que l'Inde considère comme son intérêt propre, que le Premier ministre associe à l'intérêt des peuples ; à l'égard des peuples colonisés, l'attitude de l'Inde est alors de soutenir les luttes de libération. 
 
Les rapports de l'Inde avec le Pakistan sont marqués par la modération dont fait preuve Nehru, qui doit pourtant affronter une agitation hindouiste nationaliste parfois puissante. En février 1950, les hindous sont victimes de violences graves au Pakistan oriental — dix mille morts environ —, ce qui entraîne un fort mouvement de migration vers l'Inde ; Nehru signe alors avec son homologue pakistanais, Liaqat, un traité organisant la sécurité des minorités dans les deux États. En 1960, l'Inde signe avec le Pakistan un traité sur les eaux de l'Indus, qui règle le conflit fluvial né de la Partition en organisant des mécanismes pour concilier les intérêts agricoles des deux pays.
 
La conférence de Bandung (document Le Monde) Sa propre stature et le poids de son pays en Asie permettent à Nehru de prendre la direction du mouvement afro-asiatique (conférence de Bandung en 1955) et de jeter, avec Tito et Nasser, les bases du mouvement des non-alignés. Son panasiatisme le conduit à un rapprochement avec l'Union soviétique et la Chine ; l'Inde signe notamment les accords de 1954 sur le Tibet, dans lesquels sont proclamés les cinq principes de la coexistence pacifique — respect mutuel de la souveraineté, non-agression, coexistence pacifique, non-ingérence dans les affaires intérieures, égalité et bénéfice mutuel. Cependant, un conflit frontalier avec la Chine —  l'Aksai Chin, à l'est du Cachemire est revendiqué par Pékin —, en 1962, débouche sur la défaite militaire de l'Inde. 
 
Le gouvernement Shastri (1964-1966)  La mort de Nehru, en 1964, ajoute un problème supplémentaire à une Inde empêtrée dans les conflits frontaliers avec ses voisins du Nord. Son successeur est Lal Bahadur Shastri. En 1965 éclate la seconde guerre avec le Pakistan. Né de la Partition de 1947, le Pakistan est devenu en Asie du Sud le principal allié des Etats-Unis et de l'Occident, à une époque où prévaut la politique des blocs ; il leur est lié par le traité de Manille (1954) — qui débouchera sur l'Otase — et le pacte de Bagdad conclu l'année suivante. Fort de ce qu'il considère comme ses appuis diplomatiques, le Pakistan pénètre au Cachemire le 1er   septembre 1965. La réplique indienne est immédiate : le 3 septembre, l'armée indienne investit le Pendjab pakistanais et domine très vite les opérations sur le plan militaire comme diplomatique. Les Etats-Unis refusent de soutenir le Pakistan, tandis que la Chine n'est pas prête à intervenir contre l'Inde. Le cessez-le-feu intervient le 22 septembre, et la déclaration de Tachkent, signée le 10 janvier 1966 sous l'égide des Nations unies, organise le retrait des belligérants des territoires qu'ils occupent. Shastri meurt le lendemain de la signature de cet accord, le 11 janvier 1966, et la fille de Nehru, Indira Gandhi, qui réussit non sans mal à rassembler le Congrès, lui succède alors. 
 
L'ère d'Indira Gandhi (1966-1984) 
 
La première tâche d'Indira Gandhi consiste à conserver la majorité parlementaire au Congrès. Mais si son parti emporte les élections de 1967, les résultats montrent un effritement sensible, avec 54 % des sièges à la Lok Sabha (Parlement), contre plus de 70 % à l'époque de Nehru. 
 
Difficultés internes A l'occasion de ces élections apparaît un nouveau dirigeant hostile au Congrès, issu d'une caste médiane, Charan Singh, dont l'ascension le conduira un moment au pouvoir en 1979. De plus, le mécontentement de l'aile droite du Congrès conduit à la scission du parti en 1969 : l'aile droite — Congrès (O) ou Old Congress —, conduite par le conservateur Morarji Desai, s'oppose désormais au Congrès (R) fidèle à Indira Gandhi. Pour renforcer sa position, le Premier ministre mène une double stratégie. D'une part, elle cherche à élargir sa base et pousse le Congrès à s'appuyer sur les paysans riches et la grande bourgeoisie : abolition des privilèges princiers, nationalisation des banques et des compagnies d'assurances — d'où le ralentissement de la croissance économique entre 1970 et 1980 —, «révolution verte», ces mesures étant prises au nom du «socialisme», inscrit dans la Constitution en 1976. D'autre part, elle cherche à neutraliser l'opposition interne au Congrès. Pour éliminer les rivaux à l'intérieur de son propre parti, Indira Gandhi s'appuie sur les autres partis, communistes et communalistes — les Tamouls du DMK et les sikhs de l'Akali Dal. Lors des élections de 1971, Indira Gandhi, sait trouver des accents populistes en s'adressant directement aux couches les plus pauvres, comme le montre son slogan «Garibi Hatao» — «finissons-en avec la pauvreté». Le parti du Premier ministre l'emporte largement, d'autant que ses adversaires ne parviennent pas à s'entendre. 
 
La révolution verte, succès ou échec ? Dès 1966, sous les premiers gouvernements d'Indira Gandhi, est développée la politique agricole dite «révolution verte», dont les résultats sont spectaculaires à l'époque — l'Inde parvenant à conserver plus ou moins son autosuffisance alimentaire —mais dont les résultats à moyen terme apparaissent comme beaucoup moins positifs.
 
La modification de la structure foncière entraîne en effet un enrichissement des propriétaires disposant des moyens financiers suffisants pour se tourner vers l'utilisation de pesticides et d'engrais. La consommation moyenne d'engrais passe ainsi de 1 kg par hectare dans les années 1950 à 32 kg au début des années 1980 et 47 kg en 1985 ; une part importante de l'agriculture indienne entre dans un mode de production totalement différent, alors que la population employée dans l'agriculture ne diminue pas en pourcentage de la population totale — 70 % environ entre 1960 et 1980 —, et qu'elle augmente en nombre absolu. Il s'ensuit une réduction des surfaces cultivées par famille, 58 % des exploitations agricoles faisant moins de un hectare en 1985-1986 contre 40,7 % en 1960-1961. Ce phénomène entraîne à son tour une baisse de la quantité comme de la diversité de la nourriture, ainsi que des tensions sociales fortes. D'une part, les paysans pauvres sont obligés de vendre leurs terres et de se louer comme ouvriers agricoles ; d'autre part, la production de légumes, qu'ils obtenaient traditionnellement dans le cadre de leur économie familiale, chute. Ainsi, les légumes sont remplacés par les seuls produits d'origine agro-industrielle — riz et blé notamment, dont la consommation, qui était, en 1961-1962, de 17,5 kg par mois dans les zones rurales et de 12,5 kg en milieu urbain, passe respectivement à 14,2 et 10,9 kg en 1990. L'impact du déficit en fruits et légumes sur le régime alimentaire des Indiens est tout aussi préoccupant : la disponibilité en légumineuses par personne et par an est passée de 24,3 kg en 1950-1959 à 13,7 kg en 1990-1992, alors qu'il faudrait en consommer environ 25 kg par an selon l'Institut national de la nutrition indien. Sur le plan de la biodiversité, la révolution verte cause la perte de très nombreuses variétés végétales : plusieurs centaines de variétés de riz, telles que les variétés à tiges longues ou celles se satisfaisant de moussons médiocres, aux rendements moindres mais moins sensibles aux aléas climatiques, disparaissent, ainsi que certaines légumineuses et oléagineuses essentielles pour l'alimentation et la fertilité du sol. Enfin, la tendance à la monoculture favorise la propagation à grande échelle de maladies. 
 
L'amitié indo-soviétique Sur le plan de la politique étrangère, l'ère Indira Gandhi correspond à un plus grand rapprochement avec l'Union soviétique. Pour trouver un allié de revers face au Pakistan soutenu par les Etats-Unis, Indira Gandhi signe, en 1971, un traité d'alliance avec Moscou. La crise du Pakistan oriental provoque le départ de 10 millions de réfugiés et conduit l'Inde à intervenir militairement en 1971 pour soutenir la création du Bangladesh. Ces succès s'accompagnent de l'entrée de l'Inde dans le cercle des puissances nucléaires en mai 1974. 
 
L'état d'urgence En 1972 se déclenche une forte opposition légale, qui conteste les résultats du scrutin de 1971 et parvient à entraîner de larges secteurs de la population dans des manifestations de masse — grève des cheminots dirigée par le syndicaliste George Fernandes, dont la carrière politique prend alors son élan. Le mouvement «JP» — du nom de son dirigeant charismatique, Jaya Prakash Narayan — parvient, à partir de 1974, à réunir sous sa bannière une grande partie des forces hostiles au Congrès (R). L'inflation s'accélère et passe de 3,6 % en 1970-1971 à 30 % par an en 1973-1974. 
 
Indira Gandhi répond à ces défis par une répression accrue. En juin 1975, le pouvoir judiciaire invalide les élections de 1971, reprochant au Premier ministre d'avoir mis au service de son parti des moyens appartenant à l'Etat. Indira Gandhi, qui devrait alors abandonner son poste de Premier ministre, utilise les pouvoirs que lui donne l'article 352 de la Constitution : elle fait proclamer l'état d'urgence en juin-juillet 1975 et fait arrêter 35.000 membres de l'opposition. Elle déclenche ainsi une crise majeure, à laquelle elle pense mettre fin en appelant, le 16 janvier 1977, à des élections générales. Les principaux opposants au Congrès se regroupent alors au sein du Janata Party, qui l'emporte largement sur le Congrès en mars 1977. 
 
Une alternance manquée 
Le 24 mars 1977, l'opposant congressiste à Indira Gandhi, Morarji Desai, devient Premier ministre. Il se trouve à la tête d'une coalition rassemblant à la fois des socialistes et des nationalistes hindous — Atal Behari Vajpayee, un dirigeant hindou nationaliste, est ministre des Affaires étrangères du gouvernement Desai. En juillet 1979, à la suite de la démission de Desai, Charan Singh devient Premier ministre, avec l'aide occulte d'Indira Gandhi, mais il ne peut empêcher la coalition au pouvoir de se désagréger. 
 
Les dernières années d'Indira Gandhi Le vide politique permet le retour d'Indira Gandhi à la tête du Congrès ; l'ex-Premier ministre a en effet su faire oublier son rôle dans l'instauration de l'état d'urgence. Cependant, elle doit provoquer une scission et créer le Congrès (I) en 1978 pour regagner une marge de manœuvre politique réelle. La Lok Sabha est dissoute en 1979, et les élections de 1980 ramènent Indira Gandhi au pouvoir, tandis que le Janata Party s'effondre. Mais le Premier ministre accélère la déstabilisation du Pendjab, ce qui aboutit à l'attaque, le 4 juin 1984, du temple d'Amritsar où sont réfugiés des séparatistes sikhs, et provoque en définitive son assassinat le 31 octobre 1984. 
 
Les dernières années du Congrès (1984-1996) Alors que des émeutes antisikhs se déroulent, notamment à Delhi, la succession d'Indira Gandhi s'organise : sans expérience politique, son fils Rajiv lui succède à la tête du parti et du gouvernement. Le Congrès (I) sort largement vainqueur des élections anticipées de 1984 (415 sièges sur 517), en ayant choisi un slogan qui montre le tournant qu'il compte prendre : «Faire entrer l'Inde dans le XXIe siècle.» 
 
La fin de la dynastie Nehru-Gandhi Le nouveau Premier ministre et son ministre des Finances, Vishwanath Pratap Singh, cherchent en effet à moderniser l'ensemble du système politico-économique. La croissance devient, pour la première fois, l'objectif prioritaire : parité entre secteurs public et privé, ouverture de vingt-sept secteurs aux investissements privés, augmentation des licences d'importation. Grâce à un réel essor industriel, il réalise son objectif d'une croissance de 5 % par an. Le déficit budgétaire augmente lui aussi, ainsi que la dette extérieure de l'Inde, qui passe de 7,8 milliards de dollars en 1970 à 24 milliards de dollars en 1981, puis 61 milliards en 1990. 
 
Rajiv Gandhi mène une politique extérieure entreprenante, cherchant notamment à reprendre des relations cordiales avec la Chine. Cependant, le Premier ministre ne parvient pas à restaurer les consensus politiques : les émeutes se multiplient, et la tension monte au Pendjab et au Tamil Nadu. Le Congrès perd des sièges au profit des nationalistes hindous du Bharatiya Janata Party — BJP, «parti populaire du peuple indien», créé en 1980 après l'éclatement du Janata Party. Le BJP trouve dans le communalisme — qui exalte les caractéristiques des communautés religieuses, en l'occurrence des hindous — une façon de contrecarrer la libéralisation en cours. VP Singh, qui soupçonne des irrégularités dans des contrats passés par la Défense, démissionne en 1987, et se pose en successeur du Premier ministre. Celui-ci, attaqué pour corruption, démissionne en 1989. 
 
L'intermède Singh V. P. Singh, qui a pris alors la tête d'une des coalitions de l'opposition, le Janata Dal, avec l'appui du BJP, succède à Rajiv Gandhi en décembre 1989. Fragilisé par l'aggravation des tensions au Cachemire, il cherche à renforcer sa base politique en augmentant les quotas réservés aux basses castes et aux groupes tribaux dans la fonction publique et les universités. Il s'appuie sur le rapport Mandal, vieux d'une dizaine d'années, qui recommandait la création de quotas pour les «Other Backward Classes» (OBC, «autres classes arriérées»), et qu'aucun gouvernement, depuis sa rédaction, n'avait voulu mettre en œuvre du fait des nombreuses oppositions prévisibles.
 
Singh déclenche ainsi une nouvelle crise politique — le BJP lui retire son soutien — et doit démissionner le 11 novembre 1990. Chandra Sekhar lui succède, mais démissionne en mars 1991, et la Lok Sabha est dissoute. Tandis qu'une nouvelle campagne électorale se déroule, Rajiv Gandhi est assassiné, le 21 mai 1991, par des extrémistes tamouls. 
 
Le retour du Congrès Les élections donnent une majorité relative au Congrès (I), le BJP occupant désormais la deuxième place sur l'échiquier politique. Le nouveau Premier ministre, Narasimha Rao, qui a été rappelé de sa quasi-retraite publique, lance alors une politique d'ouverture aux investissements étrangers visant à réinsérer l'Inde dans la compétition mondiale, sous la houlette du nouveau ministre des Finances, Manmohan Singh. La dette publique continue à augmenter, et l'inflation, inférieure à 5 % durant les années 1980, passe à 17 % en 1991. Cette accentuation du tournant pris par l'Inde vers l'économie de marché doit beaucoup à l'effondrement de son principal allié, l'Union soviétique, qui la prive d'alternative économique et l'oblige à renégocier le paiement des équipements qu'elle a reçus durant l'ère communiste, ainsi qu'à la guerre du Golfe qui, en provoquant le rapatriement forcé de nombreux travailleurs indiens de la région, coûte quelque 3 milliards de dollars à l'Inde. Cependant, la libéralisation de l'économie met l'Inde au premier rang des «bons élèves» du Fonds monétaire international, avec une croissance qui se maintient autour de 5  % par an dans les années 1990. 
 
Sur le plan intérieur, les émeutes de décembre 1992, qui culminent avec la destruction de la mosquée d'Ayodhya par les nationalistes hindous, entraînent en 1993 une flambée de violence religieuse, notamment à Bombay, qui contribue à l'affaiblissement du Congrès et se traduit par l'ascension du BJP. Le parti nationaliste hindou, allié au Shiv Sena, un mouvement régionaliste extrémiste et hindou militant, prend le contrôle, en 1995, du Maharashtra, l'Etat le plus riche de l'Inde, dont la capitale est Bombay. Puis le parti du Congrès enregistre une défaite historique en mai 1996. 
 
L'arrivée au pouvoir des nationalistes hindous Les années 1990 sont marquées par l'ascension électorale du BJP, de 7,4 % des voix en 1984 à 20,3 % en 1996 et 25,5 % en 1998. Mais, en 1996, le BJP ne peut prétendre gouverner seul, et Vajpayee, qui a été appelé pour former le gouvernement, démissionne au bout de quelques jours. Le nouveau Premier ministre, Deve Gowda, doit former un gouvernement de coalition avec l'appui sans participation du Congrès. Il reste au pouvoir une année, avant que la crise d'avril 1997 ne montre que le Congrès reste encore une force politique incontournable : en effet, le nouveau Premier ministre, Inder Kumar Gujral, ne peut former un nouveau gouvernement qu'avec, de nouveau, le soutien de ce dernier parti (1997-1998). Durant son court ministère — Gujral démissionne dès la fin de l'année, le Congrès lui refusant alors son soutien —, il impulse une politique de détente régionale, notamment avec le Népal — traité sur le barrage de la Mahakali —, le Bangladesh — traité sur partage des eaux du Gange —, la reprise du dialogue avec le Pakistan et une politique d'apaisement au Sri Lanka. Sur le plan économique, il poursuit la politique de déréglementation mise en œuvre par Rao. 
 
Les élections qui se déroulent en février-mars 1998 voient la victoire de l'Alliance démocratique nationale (NDA selon le sigle anglais), coalition à la tête de laquelle se trouve le BJP. Appelé au poste de Premier ministre, Vajpayee doit composer, au sein de la nouvelle majorité gouvernementale, avec des partis régionaux en forte progression, qui représentent 21,9 % des voix. Le Congrès, conduit par Sonia Gandhi, reste le premier parti en voix (25,7 % de voix), mais son score correspond à sa pire défaite depuis sa création. Enfin, les deux partis communistes (CPI, «Communist Party of India», et CPI[M], «M» pour «marxiste») et divers partis socialistes représentent l'autre force politique d'importance en Inde. 
 
En 1999, la coalition au pouvoir éclate, et de nouvelles élections à la Lok Sabha sont organisées en septembre-octobre, desquelles la NDA, transformée, sort de nouveau vainqueur, avec 293 sièges sur 535, dont 183 pour le BJP, tandis que le Congrès (I) n'obtient que 112 sièges, contre 141 l'année précédente. Cependant, en 2001, la coalition est minée par des difficultés d'entente, comme en témoigne la démission du ministre George Fernandes, le dirigeant du Samata Party, en mars, et son retour au gouvernement comme ministre de la Défense en octobre de cette même année. 
 
Corruption, saffronisation et ouverture économique Le système politique indien est soumis à une importante corruption, qui s'exerce à tous les échelons, y compris au niveau de la direction de l'Etat, et certains membres du gouvernement ou des ministères sont périodiquement accusés de diverses malversations. En 2001, la Chief Minister du Tamil Nadu, l'ancienne actrice Jayalalithaa, doit abandonner son poste de chef de cet État fédéré pour corruption et élection illégale — cependant, le 2 mars 2002, à la suite de sa victoire dans des élections locales, Jayalalithaa, sur la demande du gouverneur de l'État, reprend ses anciennes fonctions de Chief Minister, le précédent titulaire ayant démissionné pour lui offrir sa place.
 
Sur le plan économique, le gouvernement Vajpayee mène une politique économique d'orientation libérale : facilités accrues pour les investisseurs étrangers ; le Insurance Regulation Act, voté en 1999 par la Lok Sabha, prévoit d'autoriser les firmes étrangères à posséder jusqu'à 40 % d'une compagnie indienne ; développement d'un axe de centres de recherches industrielles et informatiques entre Mumbai et Pune… 
 
Dans le même temps, la politique de propagation de l'hindouisme prônée par le BJP — «saffronisation», la couleur jaune safran étant l'emblème de l'hindouisme — reçoit un élan vigoureux. Elle est inspirée par l'association politico-culturelle du Rashtriya Swayamsevak Sangh (RSS) et son dirigeant, KS Sudarshan. Ainsi, le RSS poursuit une action de longue date contre l'Eglise catholique, qu'elle accuse de chercher à convertir les groupes tribaux puis de les pousser à la sécession — divers Etats de l'Union indienne, parmi les derniers créés, sont des État où habitent d'importants groupes tribaux, souvent convertis au catholicisme. Quant à l'affaire d'Ayodhya — où une mosquée a été détruite par des hindous en 1992, elle reste l'un des thèmes récurrents de la politique intérieure religieuse ; le gouvernement Vajpayee, malgré ses engagements électoraux et malgré l'opposition de certains de ses alliés de la NDA, préconise la construction d'un temple hindou et la reconstruction d'une nouvelle mosquée sur les lieux de l'ancien bâtiment détruit. Sur le plan de l'éducation, le gouvernement a tenté de généraliser l'enseignement de l'astrologie hindoue dans les lycées et les universités, mais il a rencontré une forte opposition menée par les plus grands centres universitaires et de recherches, comme l'Institut Indien des Sciences de Bangalore. 
 
La politique étrangère des nationalistes Le refus de l'Inde, en 1996, de signer le traité d'interdiction des armes nucléaires (CTBT), l'arrivée au pouvoir, en 1998, du BJP, les déclarations fermes, voire bellicistes, du gouvernement Vajpayee contre le Pakistan et contre la Chine, suivies de plusieurs essais nucléaires souterrains (mai 1998), déclenchent un vif regain de la tension internationale dans la région. De mai à juillet 1999, des affrontement dans le secteur de Kargil, au Cachemire, opposent l'Inde et le Pakistan. Les Pakistanais, sous la pression internationale, notamment de la part des Etats-Unis, sont contraints de retirer leur appui aux séparatistes cachemiris, et le gouvernement Vajpayee remporte ainsi sa première victoire diplomatique d'envergure. Cependant, le Cachemire reste, en 2001, la cible de diverses attaques terroristes (attaque suicide contre l'Assemblée d'Etat à Srinagar, le 1er octobre). Le 13 décembre 2001, un commando suicide, composé de membres présumés de deux réseaux islamistes implantés au Pakistan, le Jaish-e-Mohammad et le Lashkar-i-Taïba, parvient à s'introduire au Parlement à New Delhi ; cette attaque terroriste conduit à un brutal regain de tension entre l'Inde et le Pakistan. 
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